Un vent malsain... [PV Tyerrhi]

C'était un jour sans soleil, sans clarté aucune. Non, les nuages en ce jour bien morne voilaient cette couleur bleue pourtant si appréciable par le moral des gens, plongeant ce monde dans une bien triste lueur grisâtre. Il ne pleuvait pas non plus, on aurait presque pu s'y attendre. Cela aurait été parfait pour agrémenter ce paysage désolé d'une petite pointe d'abandon encore un peu plus prononcé. Une brise assez conséquente balayait ce lieu à présent insignifiant. Les ruines de l'École de Magie.

Marchant doucement et tranquillement au milieu des décombres, une jeune femme était là. Une longue cape d'un noir aussi beau que du velours flottait derrière elle, portée par le souffle de l'air, elle était habillée comme lors de son arrivée ici, d'un pantalon noir aux bottes toutes aussi sombres, d'un bustier aux reflets argentés mais nullement fait d'acier et de gants noirs montant presque jusqu'aux coudes, jusqu'à la moitié des avant-bras. Quant à ses cheveux de jais, ils étaient toujours attachés en un soigneux chignon retenu par une barette à l'arrière de sa tête. Tout en elle n'était que beauté, qu'attirance. Combien donc s'y seront perdu et bien trompé...?

Aëlya arpentait les ruines, un sourire satisfait aux lèvres. Oui, elle avait attendu un petit peu avant de revenir en ce lieu pour contempler l'ampleur de son chef d'oeuvre et s'assurer qu'il ne resterait rien, que si elle le souhaitait, elle pouvait en faire son fief si elle revenait un jour ici avec ses troupes. Personne n'aurait l'idée de rebâtir une seconde école de magie, elle la détruirait une seconde fois car les défenses seraient forcément moins élaborées. Le créateur des défenses, un grand mage perdu par l'injure du temps, était maintenant dans l'au-delà depuis des siècles, rien ne pourrait le faire revenir et personne n'aurait la force de créer des remparts magiques avec le quart de cette puissance. Le premier obstacle - à priori le plus coriace - avait donc été abbattu sans l'ombre d'une difficulté. Le reste ne serait qu'un jeu auquel elle se savait gagnante. La jeune femme caressa le grimoire qu'elle tenait dans sa main gauche sans le regarder, elle observait les débris, quelques cadres où se trouvaient des photos.

Elle vit alors, là où devait être la branche réservée à l'internat, une photographie poussiéreuse mais dont les couleurs semblaient être toujours aussi intactes. L'Imaginati leva la main au-dessus et la feuille s'envola pour atterrir dans sa main. Elle souffla dessus puis regarda la photo. C'était un jeune homme brun, ses traits étaient jeunes. Des cheveux en bataille, il était plutôt séduisant. Mais ce furent surtout ses yeux qui attirèrent son attention. Des yeux d'un bleu tel que même l'océan en aurait été jaloux. Deux véritables saphirs. Mais il y avait quelque chose de bizarre dans ce regard. Comme une douleur lointaine mais tenace, une flamme du passé qui hantait et masquait un peu la joie qui ressortait de son attitude générale. A ses côtés, une jeune femme brune, elle aussi. Elle paraissait un peu plus âgée que lui mais leur beauté les unissait mieux que tout, ils exhaltaient l'amour rien qu'au travers de cette photo. La main de la jeune femme était posée sur l'épaule d'un enfant qui ressemblait comme deux gouttes d'eau au jeune homme brun à côté.

Un portrait de famille. Un portrait poussiéreux d'une famille détruite. Aëlya gardait obstinément son regard posé sur eux, c'était comme si eux aussi pouvaient la voir, c'en était frappant. Plus loin, à quelques mètres de la fin des tas de gravas, trois tombes reposaient, immuables. Celle du jeune homme, de la jeune femme et du petit garçon. La Nymphe s'en approcha lentement, gardant la photo à la main, et s'arrêta face à elle, faisant souffler une brève bourrasque pour ôter la poussière masquant les noms des pierres tombales. Ikana. Paige. Kaleel.

Longuement les yeux du cœur restèrent posé sur les cendres de ce qui avait été une école. Il n'y était jamais venu, mais il lui était facile de coller sur ce décor sinistre les image qu'il avait connu par les yeux d'autres personnes.
Puis un nuage de poussière blanche brillante matérialisa le corps d'un enfant. Même si il aurait voulu, il n'avait pas vraiment le temps d'admirer le paysage. il avait lancé ses yeux du cœur dans tout les lieux du souvenir de Tyerrhi, jusqu'à ce qu'il trouve enfin ce qu'il cherchait. l'aura si particulière de cette étrangère. Et quand il avait étendu ses recherches sur le monde, il n'avait été que partiellement surprit de la trouver ici.

A pas de loup il s'approcha pour regarder ce devant quoi elle se trouvait, et bien qu'il n'eut pas l'habitude de s'émouvoir pour trois pierres dressées, il sentit une pointe de tristesse lui serrer la poitrine. Parce que ce n'étaient pas que des pierres tombales. Sous l'une d'elle se trouvait le type qui avait été le meilleur ami du semi démon.
Bien que ne croyant en rien, Encrelune ferma les yeux pour adresser une prière muette au télépathe.

*Accueille Tyerrhi là où bientôt il te rejoindra... peut-être que là-haut vous pourrez être ami sans que plus rien ne puisse vous séparer.*

Il respira profondément et rouvrit les yeux, un peu surprit de cet instant de... de faiblesse? De compassion? Il aurait préféré qu'Ikana puisse aller voir Tyerrhi et lui dire de vivre, de rendre son fichu pouvoir à Kristie et de retourner parmis ceux qui l'avaient accueilli dans leur famille. L'enfant se rembrunit. Il trouvait ça un peu stupide de s'adresser à un mort.
Et puis, il avait une promesse à tenir. Il s'approcha d'Aëlya, se mettant à son niveau face aux tombes en gardant un écart de quand même deux mètres entre eux. Il n'était pas impressionné. Au contraire, il se sentait étrangement en sécurité auprès de ces sépultures.
Sans regarder la femme, ses yeux aux iris fendues comme celles d'un chat fixé sur la pierre gravée au nom de Kaleel, il s'adressa à elle avec neutralité, on sans une pointe de respect et de politesse. Elle était une femme, lui un enfant. Quelque soit leurs puissances magiques respectives, il ne voyait pas pourquoi il n'aurait pas du faire preuve de politesse à son égard.

"Vous êtes dame Aëlya n'est-ce pas? Je m'appelle Encrelune."

Ses yeux ambrés illuminés de milliers de couleurs, reflet de son pouvoir, se tournèrent vers elle.

"J'ai besoin de vous pour tenir une promesse faite à un de mes frères."

Il aurait du dire ami, mais les mots lui avaient échappé. Et il ne les regrettait pas: ils faisaient parti de la même famille. Une famille où l'illusionniste lui avait donné une place.

Aëlya venait d'avoir une idée assez tordue, morbide et tout ce qu'on veut. Plus elle regardait les tombes, surtout celle du dénommé Ikana, et plus elle se disait qu'elle avait envie de... voir ses occupants en chair et en os. Enfin, en chair sûrement tuméfiée et principalement en os. Oui, c'était vraiment très macabre, on en aurait vomi sans retenue. Mais elle, elle voulait voir à quoi ils ressemblaient.

Elle ne put mettre cette idée saugrenue à exécution lorsqu'elle sentit une aura maique se matérialiser derrière elle. La jeune femme fit mine de n'avoir rien perçu mais mobilisa ses ressources magiques et réveilla celles du livre qu'elle tenait sous son bras droit, ses doigts gardant fermement la photo d'Ikana, Paige et Kaleel. Elle attendit que l'individu soit à côté d'elle, ses yeux étaient déjà clairsemés de quelques flammes orangés prêtes à brûler l'importun qui s'évaporèrent lorsqu'elle vit qui était à côté d'elle. Un enfant. Un enfant simple, tout s... Non, il n'était pas tout simple, ce mioche.

La Nymphe tourna à demi la tête, comme si elle ne portait qu'un demi intérêt à celui qui se trouvait près d'elle. En plus, il n'était pas bien grand. Toutefois, le grésillement qu'elle seule pouvait percevoir émanant du grimoire lui confirmait que ce gamin renfermait un pouvoir assez conséquent. Mais c'était étrange car elle avait aussi remarqué que plus elle avançait vers les sépultures et plus le livre grésillait. Et ce même avant que le garçon ne vienne ici. Vraiment très curieux.

Lorsqu'il parla, un sourire étira très légèrement ses jolies lèvres. Elle nota bien de faire attention à la politesse avec laquelle il s'adressait à elle. 'Dame Aëlya'. Cet enfant, malgré son plus jeune âge apparent et donc son manque d'expérience comparé à la liche qui lui avait parlé, avait beaucoup plus de chances d'obtenir ce qu'il était venu chercher que ce rustre sans courtoisie. Encrelune, disait-il s'appeler. Elle ne le regarda pas non plus, ses yeux verts comme l'émeraude parcourant les pierres tombales. Sa voix douce et caressante s'éleva lentement :

"Encrelune... un joli nom."

C'était vraiment ce qu'elle pensait. Toutefois, la suite la força à se mettre un peu plus sur la défensive. Ce gosse avait besoin d'elle ? Pour son frère ? Intriguée mais encore bien loin d'être motivée pour l'aider, elle posa sa main longuement gantée de cuir noir avant de lui demander, de son ton toujours aussi courtois :

"Et en quoi le fait de t'aider m'apporterait quelque chose de bénéfique ?"

Le tutoiement s'était instauré naturellement pour elle. Après tout, c'était une adulte et lui un enfant. En plus, elle était de haut rang, de très haut rang et il lui devait le même respect qu'il avait commencer à lui témoigner. Malgré les gants avec lesquels il souhaitait la manier, elle demeurerait toujours aussi prudente et récalcitrante à aider quelqu'un si cela ne lui apportait rien en retour. Et elle avait déjà une autre idée malsaine derrière la tête...

L'enfant s'obstina à ne pas la regarder. Il s'en était douté des le débuts, ce ne serait pas simple. Parce que bien que jolie et surprenante, elle incarnait une grande partie des personnes dont il savait devoir se méfier. Et surtout il savait qu'il l'avait déjà vu quelque part. Ca le rendait prudent, plus que jamais. Prudent, mais non tendu, car si il voulait qu'elle l'aide il allait devoir se monter coopérant.
Il s'était attendu à ce qu'elle veuille quelque chose en échange de son aide, et pendant le court moment où il avait été seul, avant de venir ici, il avait eut beau réfléchir il n'avait pas trouvé. Il respira profondément et calmement, sans se départir de son calme et de son sérieux habituel.

"Chaque expérience apporte quelque chose. Je suppose cependant que de simples mots ne m'apporteront pas votre soutient."

Il continua de scruter la tombe de Kaleel, comme si il y cherchait des réponse. Parler lui avait fait gagner juste un peu plus de temps pour trouver quelque chose. Mais il ne pourrait pas la promener pendant des heures avec quelques phrases, il suffisait de la regarder pour savoir quelle genre de femme elle était. Pourtant il aurait du s'en souvenir, une femme pareille, une aura pareille... Comment avait-il pu oublier? Il n'avait à l'esprit que son ton un peu hautain, son allure, vaguement son regard... Mais son prénom, son origine... tout ça lui était inconnu, ou du moins lui échappait. Comme si quelqu'un avait placé un verrou sur une partie de ses souvenirs. Et ce 'quelqu'un', il lui semblait pouvoir dire sans hésitation qui il était.

"Je ne vous connais pas pour savoir ce qui pourrait vous être bénéfique. Je ne connais que votre prénom, et l'aura que vous dégagez. Mais quelque part je suis certain de vous avoir déjà vu."

Il se passa la langue sur les lèvres, les maisn nonchalement enfoncées dans ses poches. Il ne savait pas vraiment quoi proposer pour la convaincre. Il avait le moyen de lui offrir plus d'une chose, mais "en avoir le moyen" ne signifiait pas "en avoir le droit". Il avait apprit à faire la différence, avec ce qui était arrivé à Areys, entre autre.

"Sachez que si j'ai besoin de votre aide, c'est pour retrouver..."

Il s'arrêta avant de dire "un imbécile imbu de lui-même persuadé que, parce qu'il a pu téléporter une canette, va pouvoir se téléporter lui-même". C'était un peu long, et puis elle n'avait pas besoin d'autant de détails. Au fond de lui, il méprisait un peu ce sorcier extravaneant qui avait ignoré la magie pendant près de trente ans. Il ne le cherchait pas pour lui, mais pour Tyerrhi. Il lui devait ça, ensuite, il serait libéré de sa dette, il ne devrait plus rien à l'illusionniste.

"... Aymeric. Le propriétaire du grimoire."

Il enchaina alors un peu rapidement, les mots se bousculant pour sortir de sa bouche.

"Je dois juste le rejoindre. Choisissez ce quye vous voulez en échange; peu m'importe le prix, mais je dois le retrouver."

Dans sa façon de parler, il lui arrivait de béguailler un peu, chose qui l'exaspérait. Ca donnait souvent l'impression qu'il hésitait, alors que ce n'était que son besoin présent de remplir sa mission, la fièvre qui l'envahissait à chaque fois qu'il se retrouver confronté à un obstacle.

Aëlya eut un vague sourire dont les sentiments n'étaient pas perceptibles. Au fond d'elle, elle se fichait éperduemment de savoir si c'était un enfant qui lui demandait ses services. En fait, c'était peut-être un moyen de la faire flancher, parce que c'est un gosse et que n'importe quel humain aurait eu des sentiments à son égard. Pas elle, jamais lorsqu'elle avait ce qu'elle voulait à la clé. Sa petite phrase philosophique resta sans réponse de sa part : cela ne faisait que prouver que ce gamin était bien plus que cela pour se permettre de faire de l'esprit de cette façon.

La Nymphe regarda toujours les tombes avec intérêt, écoutant en même temps ce que disait Encrelune. Elle testait le pouvoir magique émanant des sépultures, elle en était à présent certaine : même morts, les personnes se trouvant dans les caveaux possédaient encore leur pouvoir. Et leur pouvoir était tout à fait impressionnant, difficile de ne pas le sentir. Trois puissances qu'elle se ferait une joie de piller avant que quelqu'un d'autre n'ait l'idée de le faire et la priver ainsi d'une force magique étrangère et relativement intense. Lorsque le garçon lui dit qu'il l'avait déjà vue, elle haussa un sourcil, en lui répondant doucement :

"C'est étrange, en effet, je me souviens de tout ceux que j'ai croisé et tu ne fais pas partie de ceux-là."

En gros, elle l'accusait presque de l'avoir vue à son insu et là, il avait un point de perdu. Elle n'aiderait pas quelqu'un qui l'a espionné et avec ce qu'Encrelune avait dit, il avait tout pour avoir le profil de l'espion parfait. Insouciant au point d'en avouer une telle chose. Peut-être était-elle à moitié parano, mais s'il l'avait vue, c'était caché qu'il l'avait fait. Encrelune tenait apparemment à lui dire ce qu'il voulait faire. Très bien - elle n'en avait rien à faire, mais c'était toujours bon d'être informé - mais elle fut d'autant plus intéressée par la suite. Avant de réfléchir, elle lui fit remarquer une chose de sa voix charmante mais tranchante de vérité :

"Si c'était son unique propriétaire, je ne pourrais pas le toucher, ce grimoire. Donc, c'est le mien aussi."

Par la suite, elle lança ses refléxions à une vitesse hallucinante. Encrelune se fichait de ce qu'il pouvait donner, cela veut dire qu'il était prêt à tout. Ca l'arrangeait ! Mais si cet Aymeric était si important à ses yeux, qu'avait-il donc de particulier ? Un pouvoir hors normes ? Peut-être, qui sait ? Néanmoins, elle pensa à ce qu'elle pouvait demander, son regard vert s'attarda sur les ruines et elle eut un éclair de génie. Un éclair invisible pour quiconque la regardait même.

Lentement, elle avança vers les tombes, caressant la surface de la pierre avec sa main gantée. La jeune femme passa devant l'enfant sans se démonter, puis parla d'une voix assurée, aimable et presque attachante. Doucereuse, d'ailleurs :

"Jusqu'où es-tu prêt à aller pour honorer la promesse de ton frère, Encrelune ?"

Le fait qu'elle l'appelle directement par son prénom montrait qu'elle insistait sur lui, son regard d'émeraude le fixait sans plus le lâcher. Elle allait lui demander quelque chose de vraiment important.

L'enfant prit le temps de réfléchir à la question, mettant de côté les doutes que les paroles précédentes d'Aëlya avait soulevé dans son esprit. Il chercha à construire une réponse, jusqu'à ce qu'il se rende compte que c'était aussi stupide d'inutile. Elle, elle avait une idée derrière la tête. Plus d'une sûrement, mais qu'une seule le concernait.

"J'irai jusque là où j'ai le droit."

Il se décida enfin à faire confiance à son instinct, et avança jusqu'à ce que ses pieds touchent le bords de la tombe de Kaleel. Ses yeux d'ambres multicolores se mirent à briller un peu plus fort, alors que leurs couleur initiale se diluait dans une multitude d'autres, donant naissance à une flamme blanche irisée d'arc en ciel. Il leva sa main droite un peu devant lui, paume tournée vers le ciel, puis commença à la baisser lentement vers le sol, son visage sérieux entièrement détendu. Il ne considérait pas qu'il faisait une démonstration de force, c'était loin d'entre une. Tout juste donnait-il un apperçue à cette femme de ce qu'il pouvait faire. Seulement, quand il avait vu les trois tombes nues, il n'avait eut qu'une idée en tête.
Ses doigts se refermèrent sur la tige de ce qui semblait être un pissenli blanc, semblable à un petit nuage. Ca et là courait des reflets bleu et violet, rouge et vert, orange et jaune, donnant un aspect irréel à la fleur. Encrelune l'approcha de ses lèvres et entrouvrit sa bouche, pour souffler une ombre de courant d'air qui balaya la fleur, la disperçant sur les trois monticules vides. Le petit nuage s'éparpilla, devenant une longue vague blanche qui inonda la terre. Quand elle fut posée, immobile, comme un tapis de neige brillant au soleil, alors à cette instant un vent tiède souffla dans le dos du garçon, emportant la douce couverture de cristaux multicolores, pour laisser se dresser sous un rayon de soleil des milliers de fleurs bleues minuscules comme de petits saphirs, des milliers de fleurs d'un gris perlé comme des gouttes de lune et, à quelques endroits, de rares fleurs ambrées au reflets blancs irisés d'arc en ciel.
Il reprit alors, sur une voix plus calme, comme si il venait de se libérer d'un sentiment pesant.

"Je dépend d'un ensemble de personnes. Je ne peux pas vous vendre mon âme, ni vous sacrifier mon pouvoir. Mais je suis prêt à devenir votre propriété pendant un sciècle si il le faut."

Il recula d'un pas et croisa les bras sur sa poitrine d'enfant.

Aëlya resta de marbre, comme les tombes, lorsque Encrelune annonça qu'il ne pourrait aller que jusqu'où on l'autorise à aller. Ainsi, il était sous la tutelle de personnes sans doute assez puissantes pour posséder une autorité sur d'autres personnes et peut-être même un monde. Néanmoins, elle arrêta ses spéculations mentales pour un moment et braqua son regard sur le pouvoir de cet enfant. Même si son visage était aussi impénétrable que celui d'une statue, la déception fut assez conséquente. Rien de bien spectaculaire, en tant que Nymphe doublée d'Imaginati, elle était largement capable de créer des fleurs aussi splendides que celles-ci, voire même plus. Mais franchement, créer des beautés ne l'intéressait guère. C'est ce qui l'amena à reprendre la parole, en voyant qu'Encrelune lui laissait la parole. Elle soupira puis commença, avec une franche sincérité dans la voix qui n'était nullement erronée :

"Aymeric est dans ma dimension, nous avons changé nos places. Là-bas, j'aurais pu aisément le faire revenir car j'aurais eu la totalité de mes pouvoirs et suffisamment de puissance pour interchanger à nouveau nos places. Mais, pour le moment, cela m'est impossible bien que je sois la seule à pouvoir le faire."

C'était vrai, la connexion qui la reliait au sorcier - elle ne sentait que le lien et pas le visage et les pouvoirs de la personne - ne pouvait être utilisée que par l'un des deux, personne ne pouvait agir en dehors. Même Encrelune, s'il le savait, ne pouvait le nier. La jeune femme savait que cela constituait un atout majeur dans la demande que lui faisait l'enfant. Elle le regarda, puis fixa les tombes, sans aucun sourire en poursuivant :

"La complexité de ce monde, et donc à plus grande échelle, des univers interdimensionnels bloque mes dons. Je n'arrive pas à saisir le sens de la magie dans les autres mondes et mes pouvoirs en sont amoindris, même si j'en ai encore le contrôle. C'est ma puissance qui est touchée et sans cette puissance, je ne peux rien faire, même avec la plus forte volonté dont je sois pétrie. Il ne me faut qu'une seule chose pour que je sois apte à pouvoir changer les places à nouveau, sans quoi lui et moi resterons bloqués ici à jamais."

La Nymphe laissa planer un moment de silence avant de regarder le ciel, une main posée sur la tombe d'Ikana. Le noir sur le marbre gris avait quelque chose de presque menaçant, mais il fallait vraiment chercher la petite bête pour trouver cela. Elle continua sur une voix toujours aussi aimable, comme une mère qui s'adresserait à son enfant :

"L'univers - le tout universel - est quelque chose que de nombreux individus auront tenté en vain d'expliquer. Autant dans le domaine de la magie, que celui de la nature, etc... L'univers, dans toutes les dimensions, est encore quelque chose d'incompréhensible car cela constitue une somme d'informations infinie. Voilà ce dont tu as besoin pour moi, ce qui pourra ramener Aymeric et honorer ta dette."

Elle pivota dans un mouvement gracieux et fixa droit dans les yeux le petit garçon, ne le lâchant pas du regard. Sa voix se fit nette mais parfaitement maîtrisée :

"Je veux cette connaissance. La compréhension de tout l'univers. Cela engloberait toutes les dimensions, tout leur fonctionnement, leur magie, leurs individus. Tout. Nous avons besoin de l'ultime compréhension. Avec cette complète compréhension du méticuleux système interdimensionnel et des différentes magies ayant cours, je pourrais faire revenir Aymeric en faisant fi des difficultés auxquelles ce monde me confronte. Alors, jusqu'où es-tu prêt à aller pour ton frère ?"

Elle lui avait sourit pour la dernière phrase. Son discours indiquait que s'il ne se débrouillait pas pour lui donner ce 'tout', il irait se faire téter les yeux par les langoustes. Posséder ce savoir suprême lui donnerait la puissance de l'univers tout entier, un contrôle total des individus et enfin, elle pourrait régner en souveraine absolue sur les dimensions. Pouvoir comprendre le fonctionnement complet de l'univers constituait la plus grande force qu'on puisse avoir en poche. Toutefois, il fallait faire le tri entre les informations et ce tri durerait sûrement un temps extrêmement long qui tenait de l'indicible pour le moment. Ce gamin le savait peut-être, aussi devait-il faire le nécessaire pour lui donner ce qu'elle demandait - et Aëlya espérait qu'il savait qu'elle n'était pas femme possible à duper - sinon jamais elle ne l'aiderait. Son regard restait fixé sur le sien. Pénétrant mais nullement malsain, comparé à ses pensées.

Son regard s'était étrécit, roujours posé sur les fleurs, refusant d'efflerer la jeune femme. Elle voulait un savoir immense, et il était quasiment certain de savoir où le trouver, du moins en partie. Seulement la vie d'un homme, une promesse, vallaient-elles la peine de donner à cette femme une connaissance infinie, et avec de quoi contrôler tout? Il enfonça ses mains dans ses poches et baissa la tête, arrêtant enfin de regarder les tombes, pour fixer le vide. La recherche de toutes ces connaissances lui prendrait un temps infini, il y en avait tellement! Personne ne pouvait tout connaître, et surtout, personne n'en avait le droit. Il frissonna d'horreur à l'idée que quelqu'un puisse possèder une complète compréhension, imaginant ce qu'il pourrait en faire.
En même temps, n'avait-il pas promit à Tyerrhi de ramener Aymeric? Il devait ça à l'illusionniste, après tout c'était lui qui l'avait ramené ici pour qu'il puisse apprendre, qu'il fasse partie de la famille. Maintenait il en faisait partie de cette famille. Au même titre que les autres il avait à la défendre et à en défendre l'intégriter. Même si tyerrhi avait désobéi en allant le chercher, comme Areys en embarquant son ami à travers le temps, tout ça ne les avait jamais mit en danger. Alors que lui, donner toutes ces infomations, rien que les quelques qu'il possèdait, c'était remettre le monde entier entre les mains d'Aëlya.
L'enfant soupira, il était dans une impasse. Il ne pouvait pas accepter, et refuser c'était reprendre sa parole donnée à Tyerrhi.

"C'est beaucoup contre le retour d'un homme."

Il releva la tête pour poser ses yeux d'ambres sur la tombe à ses pieds.

"C'est énorme. Trop. Je ne peux pas. J'ai promis à mon frère de ramener ce type. Je lui ai donné ma parole. Mais je n'ai pas promis de devoir passer par vous."

Il parvint à déglutir. Il ne ressentait aucune pression, ou déception. Il renonçait juste à l'unique moyen de tenir sa promesse. Mais quand l'illusionniste serait mort, où qu'il soit, il pourrait le regarder s'acharner pour ramner Aymeric, et sans avoir eut à trahir le monde entier. Même si il devait mourir sans avoir réussi, il préférait.

"Je ne peux pas ramener Aymeric sans vous. Mais j'essayerai, encore, et encore. Je préfére mourir en ayant essayé que de réussir en vous ayant vendu l'univers entier."

Il ferma les yeux, un court instant il sembla qu'il était bien un enfant, rien de plus. Il rouvrit les yeux pour regarder le ciel.

"Je suppose que je n'ai pas à être désolé, c'est moi qui suis venu vous chercher. je le suis quand même, je vous ai fait perdre votre temps."

Encrelune se détourna des trois tombes, leur tournant le dos.

"Avec votre permission..."

Alors il tourna seulement ses yeux vers elle, prenant la peine de lever la tête vers le visage de la femme. Il n'était qu'un enfant mais il était déterminé, il croyait en ses conviction; il aurait pu être un ikana brisé, mais grâce à Tyerrhi il était devenu un Encrelune fort, avec des idées, des convictions, et il croyait en lui. en ce qu'il faisait. même si il devait perdre. la vie n'était qu'un jeu, tout le monde ne pouvait pas gagner...

Aëlya eut un sourire mystérieux qui étira ses lèvres fines. Elle était certaine que Encrelune allait refuser son offre et cela avait eut le tort, pour lui, de prouver certaines choses. La première était qu'il se rendait compte de l'information donc qu'il n'était pas un enfant insouciant, il était plus que cela. Et la seconde était lisible dans ses yeux : il avait le moyen d'amasser cette connaissance, peut-être... non, il savait sûrement où il pouvait être caché entre les dimensions. Il fallait agir avec plus d'astuce.

Elle haussa les épaules, nullement déçue. Elle n'avait pas la connaissance universelle - elle n'y avait pas trop compté, d'ailleurs - mais elle avait eu indirectement d'autres connaissances, des pièces qui s'assembleraient lentement. Lorsqu'il tourna les talons, elle avait déjà une autre idée en tête. Lui tournant le dos, elle regarda les fleurs et poursuivit, comme s'il était toujours à côté d'elle, il l'entendrait obligatoirement :

"C'est une magie contemporaine qui, malgré qu'elle soit commune avec la mienne, bloque mes capacités. Toutefois, peut-être qu'avec une autre magie, une totale différence permettrait à nos places de changer sans avoir à souffrir des limites imposées par ce monde..."

La jeune femme leva deux doigts vers une fleur qui se détacha lentement du sol et s'envola avec douceur vers la main gantée en velours noir nuit de la Nymphe. Les coloris divers semblèrent scintiller avec plus de force, comme si les couleurs magiques s'imbibaient dans le regard émeraude d'Aëlya. Elle ne quitta pas la fleur des yeux, son regard impossible à déceler pour Encrelune et lui dit :

"Ta magie est-elle capable de faire un peu plus de choses que des fleurs ? Pourrait-elle, en ayant les mêmes dons que toi entre mes mains, me permettre d'avoir une assez grande marge de différence avec la magie de ce monde pour pouvoir emprunter un autre chemin qui ramènerait Aymeric ?"

L'Imaginati ne tourna pas la tête, attendant une réponse, même si elle la connaissait un peu. Elle croyait ferme que ce garçon, si il y tenait vraiment, avait la possibilité d'offrir une copie conforme de son don à Aëlya pour qu'elle puisse voyager à nouveau par une 'porte' différente. Elle était persuadée que les pouvoirs de ce gamin faisaient plus que de simples parterres, et elle comptait bien posséder les multiples possibilités de ce don. Sa voix, aimable et courtoise retentit, cinglante de vérité :

"Il me semble que c'est la dernière opportunité que tu aies si tu veux effectivement ramener Aymeric sans avoir à donner une somme trop exorbitante en retour. Tu auras beau essayer seul, à en mourir comme tu dis, jamais tu ne pourras parvenir à le faire revenir sans moi. A moins bien sûr que tu ne sois réellement décidé à trahir la confiance et la promesse de ton frère, à voir ce qu'on peut faire des limites dans une situation urgente..."

Les yeux de la jeune femme, dos tourné à Encrelune, se vrillèrent sur le côté comme pour savoir quel impact aurait ses propos sur le garçon. Elle le mettait au pied du mur, demandait une somme sûrement bien moins conséquente que l'univers et lui offrait l'ultime opportunité. Elle sourit, et braqua à nouveau son regard sur la fleur arc-en-ciel...

Quelque chose comme une ombre de sourire s'afficha le temps d'un éclair sur le visage de l'enfant, qui resta immobile en entendant la voix d'Aëlya. Il trouvait amusant ce jeu auquel ils se livraient tout les deux, elle une femme importante, et lui, un gamin. Mais ce n'était pas vraiment un jeu, parce qu'ils parlaient de choses sérieuses, et parmi ces choses elle venait d'aborder le sujet le plus délicat: sa magie à lui, qu'il maîtrisait. Cette magie qui le liait à tyerrhi, et aux autres, qui faisait d'eux une famille. Pas seulement une force étrange indestructibel, une force qui avait pour base le lien entre ses propriétaires. Grâce à elle, il ne s'était plus jamais senti seul, ni épié. Il se sentait maintenant libre, en sécurité. Parce qu'il savait que si il était en danger, les autres le saurait sans qu'il ne fasse rien, sans qu'il ne les avertisse. Ils étaient unis, même si ils étaient différents.
Seulement...

"Vous voulez que je vous apprenne ma magie."

Il ne se retourna pas et continua, à mi voix.

"Aëlya, vous êtes une femme dure et froide, et je doute que les mots unions est un sens pour vous. Enfin, pas le même que nous lui donnons."

Il ferma les yeux, envoya mentalement une question non formulée aux autres.

"J'ai été sevré il y a peu. Alors je peux vous apprendre. Mais c'est plus qu'une magie."

Il se retourna, pour la première fois fixa ses yeux d'ambres au niveau de ceux de la femme.

"Pour ramener Aymeric, et parce que mon frère me l'a demandé, je crois qu'on peut réfléchir à ce prix-là. Mais rendez-vous compte que votre demande est disproportionnée. Vous m'aiderez à ramener ce type, mais en échange vous ferez parti de notre famille."

Il baissa les yeux, sur les trois tombes, sur le sol à ses pieds.

"Vous ferez partie d'un ensemble, d'un groupe. Vous aurez notre pouvoir. Des amis, un endroit où aller, vous serez libre. De vivre, de mourir, d'aller où bon vous semble. La seule chose qui est vraiment régit, en somme, c'est l'utilisation de ce pouvoir."

Il croisa les bras et se retourna. Il doutait fortement qu'une femme pareil veuille d'un vie pareille.

"Croyez-vous vraiment que vous êtes le genre de femme qui puisse accepter ça?"

Aëlya inclina légèrement la tête en entendant les paroles pour le moins profondes du jeune garçon. Plus ça allait, et plus il avait l'air d'un adulte. Enfin, pas vraiment non plus à ce point, quelques éléments du langage montraient son appartenance à la classe juvénile, mais tout de même, elle doutait qu'un gosse âgé de son apparence puisse aligner autant de mots que lui. Sa proposition lui offrirait un don, dans sa plus totale plénitude et sa plus grande puissance. Néanmoins, son utilisation lui rappelait en quelque sorte le Pacte des Faënarii. Une personne voulant effectuer l'ascension vers leur monde partagerait leur pouvoir dans un groupe cohérent. Or, Aëlya possédait l'entièreté des pouvoirs des Faënarii et se faisait un plaisir de bloquer la moindre parcelle d'ascension de peur de devoir partager l'ultime force qu'elle possédait dans ses mains. Rejoindre un groupe pour agir de même, non. Elle ne voulait plus personne dans le sien, ce n'était sûrement pour en rejoindre un autre. Mais en même temps il y avait cette magie...

Lorsqu'il se mit près d'elle, elle posa son gant de velours sur la peau d'Encrelune, saisissant avec douceur son menton dans le creux de sa main. Son regard se fit pénétrant, aussi profonde que ses paroles furent courtoises mais non moins tranchantes :

"Sache que tu ne sais pas quelles peuvent être mes réactions, petit."

Elle le rabaissait, elle avait horreur qu'on choisisse pour elle et ce gosse n'excédait pas à la règle. Mais cela s'était fait en douceur, comme d'habitude. Elle soupira, admettant tout de même qu'elle n'était pas assez partageuse pour accepter son offre. Elle se leva de toute sa hauteur et fixa les tombes. Un sourire naquit sur ses lèvres quand elle haussa les épaules :

"Tant pis, je crois que de toutes manières j'ai trouvé la façon de te venir en aide. C'est une extrémité qui peut te paraître choquante, mais c'est effectivement le seul et unique moyen, puisque tu dis que partager ne me convient pas."

Ses paroles mystérieuses résonnèrent par la suite avec un éclat de vérité, sa voix faussement désolée tinta avec musicalité aux tympans du garçon lorsqu'elle fit face aux trois tombes :

"Navrée pour tes fleurs. C'est le dernier recours, je le crains..."

La Nymphe recula de deux pas et leva la main vers les tombes, vers le sol fleuri des sépultures. Son regard se fit beaucoup plus perçant et déterminé, l'émeraude de ses yeux fut clairsemé des nombreuses flammèches de couleur orangée. Les fleurs ornant les tombes flambèrent ensemble et laissèrent quelques secondes plus tard une trace un peu carbonisée sur le sol. Sa main tendue vers ce même sol, Aëlya gagna en concentration, serrant davantage le livre d'Aymeric, docile, contre elle. La terre se craquela pour finalement se fissurer et créer trois orifices. L'Imaginati eut un nouveau sourire et ramena sa main vers elle, laissant sa magie poursuivre et achever son travail.

Flottant dans les airs, trois corps obéissaient au contrôle de la jeune femme. Le premier, grand et bien bâti paraissait endormi. Malgré tout, sa peau était beaucoup trop blafarde pour qu'on l'imagine autrement que mort. D'ailleurs, le corps était rudement bien conservé pour un cadavre, la magie devait être au coeur de ce phénomène. A côté de lui, plus petite, une jeune femme aux longs cheveux flottant à l'air libre, un peu moins bien conservée que son compagnon cadavérique. Et le dernier, un enfant, pas plus grand qu'Encrelune. Il ressemblait énormément au grand jeune homme sauf que son corps autrefois bien en chair était de plus en plus réduit à un état squelettique.

En face d'Encrelune et sous la tutelle magique d'Aëlya, Ikana, Paige et Kaleel lévitaient, morts. Sortis de force par le sacrilège commis sans vergogne par l'Imaginati, la magie qui pulsait en eux serait bientôt à elle. Néanmoins, elle remit sa main comme avant, comme si de rien n'était et étira ses lèvres dans un sourire ironique, même cynique :

"C'est dommage que je sois obligée de piller des tombes pour aider ton frère. Plus encore quand je vais devoir me débarrasser du corps de son feu meilleur ami, n'est-ce pas ? Je jugerais bon de l'en informer avant de ramener Aymeric d'ailleurs, c'est bien plus juste... j'aurais cela sur la conscience si je ne lui disais pas ce que j'ai dû faire à son cadavre d'ami et sa petite famille pour t'aider à honorer sa dette..."

Elle fixa Kaleel, s'amusant à faire bouger son bras qui retombait mollement à chaque fois sur son flanc, sa tête brune inclinée sur son petit torse, des marques un peu sanglantes sur le corps. Elle regarda à nouveau le gamin, Encrelune. Celui-ci devait sûrement être pour le moins choqué par non seulement l'acte de vandalisme intolérable qu'elle avait commis, mais aussi par la désinvolture avec laquelle elle jouait avec les cadavres si bien connus dans le monde de la magie. Sa voix résonna à nouveau, amusée, flûtée et toujours aussi ironique :

"Vraiment, je crois que je culpabilise un peu d'en être rendue à voler les pouvoirs d'un gosse et de ses parents morts tous les trois. Enfin, dans l'état où ils sont, ça ne devra sûrement plus leur faire grand-chose, tu ne pense pas ? C'est pour la bonne cause, de dépouiller le cadavre de ce pauvre chérubin squelettique, non ? Allez, une part pour le gentil Kaleel..."

Sa voix aurait été insupportable pour n'importe quelle personne avec des sentiments humains. Elle saisit la main de Kaleel dans son gant de velours et la dépouille de l'enfant se mit à faiblir étrangement, comme si toute son intensité magique le quittait définitivement pour aller couler dans les veines de la belle Nymphe. C'était d'ailleurs le cas. Mais si certains étaient sensibles au domaine du mental comme elle l'était à moitié, ils pouvaient s'apercevoir qu'en absorbant la force magique de l'enfant, elle aspirait aussi son âme pour la détruire lentement. Aëlya sentait déjà ses forces la regagner, elle eut un sourire encore plus étiré...

Encrelune avait eut pour premier réflexe de fermer les yeux, se refusant de voir ce qu'elle ferait des cadavres. Puis, au prix d'effort, il les rouvrit pour regarder les yeux fermés de Kaleel. Elle absorbait la puissance Akira, comme Tyerrhi... Il tourna la tête vers la femme et manqua de voir, à sa place, le visage de l'illusionniste. Un doute le submergea brusquement... et si Tyerrhi n'avait pas eut le pouvoir de Kristie, en venant ici, aurait-il été capable de voler le pouvoir de Kaleel et Ikana? Pour Paige il n'avait aucune certitude, elle était une sorcière, mais elle ne possèdait pas de réel pouvoir important. Seuls son fils et son mari possèdaient une telle puissance.
Encrelune s'empêcha de baisser la tête, ne cessant de fixer le cadavre de l'enfant. Il aurait dû arrêter Aëlya, lui proposer autre chose, accepter de lui donner sa flamme, n'importe quoi... seulement la conviction que si ce n'était elle, ça aurait étét Tyerrhi qui aurait volé ce pouvoir, le retenait d'agir. C'était un doute qu'il ne pouvait pas négliger. Le doute que le semi démon, lui aussi, aurait pu piller ces tombes. Même en larmes, l'enfant était de plus en plus persuadé qu'il l'aurait fait. En pensant à son ami, il en vint à repenser à cette femme. Et à cette fichue puissance Akira qui faisait plus de mal que de bien. Il savait que si elle n'était pas léguée, elle était dangereuse pour le voleur, enfin dans ce cas, la voleuse. Quelque soit la force que pourrait lui donner ce qu'elle était entrain de voler, il se demandait si elle se rendait seulement compte, qu'elle risquait aussi d'en mourir de cette puissance, ou juste se voir affaiblir mais... Les magies puissantes ne se volent pas comme on vole une âme, ce sont des forces presque douées de leurs volontées propres.
L'enfant immobile s'activa enfin, remettant ses mains dans ses poches, son visage toujours calme et impassible. Il trouvait ça ignoble, immoral, dans son fort intérieur ça le révoltait. Et plsu il y pensait, plus il sentait ses sentiments remonter en lui, le forçant à ne pas rester sur place comme une pierre, totalement sans vie et sans volonté.

"Vous n'avez pas votre place ici Aëlya. Chez vous vous êtes forte, mais ici, sachez que vous n'êtes rien. Vous ne savez pas comment l'on pense, comment l'on agit, comment fonctionne notre société, et, pire, vous êtes bloquée ici parce que vos pouvoirs sont diminuées de moitiés."

Il ferma les yeux, secouant la flamme un peu poussiéreuse qui dormait au fond de lui. Les fleurs étaient jolies, mais la magie qu'on lui avait enseigné avait d'autres côtés. L'ambre de ses yeux se dilua dans une flamme blanche, dévorant entièrement les deux yeux de l'enfant, ne laissant à leurs places que deux brasiers lumineux de milliers de couleurs. Il retira ses mains de ses poches pour les plaquer l'un contre l'autre avec force. Comme il avait apprit à le faire, il se détendit et se libéra de toute sa tension et concentration, se laissant couler dans un calme absolu qui balaya le champ de ruine. Il mit de côté qu'il aurait du avoir peur face à Aëlya, oublia qu'elle allait sûrement moyennement apprécier, voir pas du tout. Que peut-être il ne pourrait pas sauver Aymeric. Mais Ikana avait mérité de reposer tranquillement, en paix, loin de cette femme et de ses besoins. Encrelune écarta doucement ses mains tremblantes, fixant le corps du sorcier. Il effaça une dernière ombre d'hésitation, et projeta sa flamme sur le corps sans vie où pulsait enore la magie du jeune homme. Dans la dimension matérielle, les mains de l'enfant irradièrent sous la puissance de sa magie, troublant l'air autour de lui. Le vent de tout à l'heure souffla de nouveau, avec plus de force, transmettant la chaleur des mains d'Encrelune aux trois cadavres. L'atmosphère devint plus lourde et oppressante, jusqu'à ce qu'une détonation grave, au point d'être sourde, éclate dans une langue de feu, enveloppant Ikana des pieds à la tête, le dévorant sous les yeux brûlant du garçon. Le corps consummé ne laissa pas la moindre trace, et l'aura magique qui en emmanait disparut brusquement, sans après coup. L'enfant renforça son contrôle sur son pouvoir et le tourna vers Paige. A nouveau il enveloppa le corps mort dans le drap flamboyant de son pouvoir, l'effaçant des ruines pour le cacher avec le corps de son époux, là où Aëlya ne pourrait jamais aller. A moins d'accepter de les rejoindre, de faire partie de la famille...

"Eux ça ne les dérange peut-être pas, mais moi..."

Ses lèvres entrouvertes laissèrent échapper un léger courant d'air qui porta ses faibles paroles jusqu'aux oreilles de la femme. Il ne termina pas, s'appliquant à intervenir une dernière fois. Il avait du choisir, entre arracher tout de suite Kaleel à Aëlya et ensuite ses parents, ou commencer par eux et ensuite s'occuper du garçon mort. Il avait jugé plus prudent de mettre à l'abri Ikana, d'abord, suivit de Paige. Elle avait déjà commencé son oeuvre avec Kaleel, encore mieux qu'elle n'en vole un peu plus à lui qu'elle ne touche à la puissance du sorcier.
Dans un dernier élan, puisant dans ses ressources, il dirigea sa volonté vers le corps de l'enfant. De ses yeux de feu il pouvait presque voir le pouvoir de Kaleel glisser dans le corps de l'Imaginati, entrainant les restes de l'âme du gamin. Encrelune ne s'attarad pas à voir ce qu'elle avait déjà puisé en lui, quelle quantité, bien qu'il la devina assez importante. En même temps que lui agissait, elle avait continué de dreiner la puissance du petit cadavre à son corps. Une dernière fois l'air se fit épais, puis les flammes éclatèrent, venant lécher la main gantée d'Aëlya. Quand le cadavre fut emporter, l'Imaginati fut projeter pendant un quart de seconde dans une vaste prairie où l'herbe argentée formait des vagues sous la caresse d'un vent impalpable.
Elle se retrouva de nouveau dans les ruines, où ne restait aucune traces des trois corps, pas plus que de la plaine. Le silence qui règnait à son arrivait avait reprit sa place, avec autant d'ampleur, et ce ne fut que la voix d'Encrelune qui le troubla faiblement.

"...mais moi, ça me dérange. Dame Aëlya."

L'enfant avala sa salive, ses mains retournées dans ses poches, ses yeux de nouveau ambrés, quoique toujours brillant. Le feu qui les avait embrasé l'instant d'avant ne les avait pas vraiment quitté.

"Et aussi forte, aussi belle que vous soyez chez vous, même avec ce grimoire, dans mon monde vous êtes faible. La seule chose qui ne change pas c'est..."

Il s'arrêta encore, crispant ses poings dans ses poches pour réprimer leurs tremblements. Il acheva sur un ton froid et cassant, où s'entraperceait une pointe de pitié. une voix dans laquelle depuis le début logeait du respect, et qui même maintenant ne l'avait pas quitté.

"...c'est que vous êtes seule."

Il la fixa droit dans les yeux, sans ciller. Elle n'était pas chez elle, lui si. Plus que jamais il avait cette idée à l'esprit. Elle avait faillit l'embobiner juste assez pour qu'il la laisse se servir, et il avait réussi de justesse à la coiffer au poteau, et encore, en partie, puisqu'elle avait malgré tou réussi à prendre une partie du pouvoir de Kaleel. Elle était forte, il l'admettait. Maintenant il était sur ses gardes, plus que jamais. Il avait envoyé Ikana et sa famille auprès des autres, là où personne n'avait plus de pouvoir que lui et sa famille, où personne ne pouvait aller sans avoir la clé.
Il persistait néanmoins une chose, un détail, ce détail, qui faisait la différence. Elle n'était rien ici. Personne ne la connaissait. Personne ne la voyait comme une femme importante. Elle n'était pas sur son territoire.

Aëlya semblait connaître ce que certains appellent le renouveau. Sa puissance se mêla à la force de ce garçon, une force étrangère réellement indiscutable. D'ailleurs, c'était curieux, mais l'onde qu'il dégageait n'était ni la même que son père ni la même que sa mère, c'était à croire qu'en fait, les pouvoirs redoutables qu'il avait n'avaient pas vraiment été... les siens. A la moitié de sa 'restauration', elle se décida à ouvrir les yeux quand le grésillement d'une magie lui vint si prêt aux oreilles qu'elle sentit le livre qu'elle tenait la mettre à l'écart de toute tentative d'agression. Ses yeux verts lui confirmaient ce qu'elle craignait : les corps avaient disparus. Encrelune était derrière tout cela.

La jeune femme avait de toute façon eut ce qu'elle voulait : une force nécessaire pour commencer à déchiffrer les mystères des passages entre les mondes. Depuis le début elle mentait, car elle savait pertinemment comment faire revenir Aymeric, elle en avait la possibilité. Mais pas encore l'envie car elle savait aussi que si l'un revenait dans son monde, l'autre agirait indirectement de même. Et elle n'avait pas eu son quota d'époustouflantes découvertes pour le moment. Bien sûr il y avait le grimoire qui serait un atout indéniable contre quiconque oserait se mettre sur son chemin dans ce vaste monde, mais elle voulait toujours plus.

La jeune femme eut un petit rire vaguement amusé puis se plaça lentement devant le jeune garçon, apparemment éprouvé par ce qu'elle venait de faire. Elle comprenait et était satisfaite de l'avoir tout de même touché en plein cœur. S'accroupissant à sa hauteur, elle secoua la tête en regardant le ciel avant de revenir sur les yeux du gosse. Sa voix était tout aussi murmurée que le début :

"Mais il me semble que ce n'est pas non plus ta terre d'origine... ni celle de ta, comment dis-tu ? Ah oui, ta 'famille'. Je n'ai aucun sermon à recevoir pour des efforts d'intégration."

Aëlya eut un sourire très agréable à voir avant de se lever et de se mettre face aux ruines de l'école. En repensant à la nuit où elle avait détruit tout ça, un sourire éclaira son beau visage finement hâlé. Oui, personne ne la connaissait. Mais ça allait changer, bientôt tout le monde la connaîtrait autrement que la destructrice de l'École de Magie millénaire. Un fief du Bien en moins, elle avançait ses pions lentement mais sûrement. Ce pouvoir qu'elle venait de voler, elle le canalisait avec une force qui rendait la puissance volée complètement docile. Peu à peu elle intégrait son corps et surtout, son Imagination. Elle était aussi souveraine de ce monde qu'elle seule était apte à voir et comprendre sous tous ses aspects. Cette terre et ses habitants l'ignoraient, même Encrelune, mais l'Imagination qu'elle possédait était à présent renforcée par Kaleel et peu à peu, ses dons commençaient à s'accoutumer aux limites dimensionnelles. Mais c'était encore loin d'être suffisant pour posséder la même grandeur magique qu'à Faënaris.

"Être seule ne m'a jamais dérangée outre mesure, tu ne me connaît vraiment pas, mon petit. Regarde ces ruines : Pourquoi et surtout, à cause de qui l'École de Magie a été littéralement rasée ? Mes pouvoirs sont certes diminués, mais j'ai encore la force de raser d'autres lieux aussi rudement bien protégés, et celui-ci était sans doute le meilleur de ce monde. Quant aux connaissances de ce même monde, je les ai toutes en mains, au sens propre et figuré du terme."

La Nymphe pivota et le regarda avec compassion, caressant avec douceur les reliures du grimoire, mine d'or pour elle qui voulait ce territoire immense. Avec le grimoire, elle savait tout ce qu'il y avait à savoir sur le fonctionnement de la magie et, de retour à Faënaris, elle mettrait au point les contre-mesures nécessaires pour bloquer la magie de ce monde, empêcher la moindre riposte à son invasion. Cela prendrait du temps d'étudier et de créer, mais elle savait qu'elle y arriverait là-bas. Soudainement, elle soupira puis lui fit un clin d'œil :

"Par contre, je peux changer, la destinée que j'emprunte en ce moment même n'est pas vraiment celle à laquelle j'étais destinée, je pense. Ta famille, comme tu aimes la citer, n'est donc capable que de s'amuser à créer des fleurs et téléporter des cadavres ou elle possède d'autres dons ? Jusqu'où peut s'arrêter la clémence dont elle est dotée et surtout..."

La jeune femme fixa le garçon droit dans les yeux, ne lui laissant aucune échappatoire, le regard qu'elle avait était presque insoutenable qu'on aurait préféré fixer le sol plutôt qu'elle. Elle acheva d'une voix nette et amicale :

"... l'union fonctionne-t-elle dans les deux sens, comme devrait l'être toute union ? Ou bien ne fonctionne-t-elle que dans le sens où ça arrange ta fameuse famille ?"

Encrelune resta de marbre, étrangement calme face à cette femme. L'école de magie avait été détruite parce qu'elle était matérielle. Mais quand un endroit n'existait pas, n'avait pas de consistance, comment pouvait on le détruire?

"Vous êtes faible, quoique vous disiez. Vous êtes la plus forte de là où vous venez mais ici votre..."

Il s'interrompit en pleine phrase, comme si il venait e se prendre un coup sur la tête. Et il s'agissait bien de sa tête, quoiqu'il n'y ai pas eut de coup. Dans ses pensées il l'avait utiliser, ce mot... l'Imaginati... ses yeux perdus dans le vide se refixèrent dans ceux d'Aëlya, sans jamais les avoir vraiment quitté.

"Vous posez toujours des questions et vous volez les pouvoirs des autres. Il n'est pas question de terrain, mais de monde Aëlya. Faites la différence. Vous devriez vous méfiez. Vous êtes forte je vous l'accorde. Mais même avec ce grimoire, avec les pouvoirs de Kaleel, vous restez une petite humaine faible sans véritable qualités qui ne doit sa place qu'aux assassins de sa famille."

Il se rendit compte que ses mains avaient arrêté de tremblé. Il se serait presque permit de sourire. Parce qu'avoir remit la main sur ce souvenir était une véritable chance pour lui. Avec assurance il continua calmement.

"Je sais où je vous ai vu, qui vous êtes. Vous êtes l'imaginati, la "chose" des prêtres de Faënaris. "

Son regard s'étrécissa et il n'ajouta tout d'abord rien. Il comprenait pourquoi il avait pitié d'elle. Elle n'était que ce que les prêtres avaient voulu qu'elle soit. Elle pouvait avoir du pouvoir, des connaissances, comment pourrait-elle un jour être vraiment quelqu'un sans exister vraiment.

"C'est pitoyable. Tu es pleine de puissance et de ressources mais je sais plus de choses sur toi que toi sur moi. "

Il respirait librement, et il trouvait la chose surprenante. Il la sentait terrible, il la savait redouté dans son monde. Et ici encore, elle restait quelqu'un de fort, bien qu'à une échelle moindre, et minuscule par rapport à d'autres personnes. C'était dommage pour elle, d'être formaté à ce point. Mais elle était tellement convaincu de ce qu'elle était que le respect qu'il avait, jusque là, ressentit à son égard, s'envola. Une obcédée du pouvoir en plus. Rien de palpitant.
Son regard ambré se rafermit dans ceux d'Aëlya.

"Je ne suis pas non plus une force de la nature. Je cherche aussi quelques réponses. Seulement une te concerne. Comment quelqu'un de si faible peut en venir à se croire si fort?"

Il pencha la tête sur le côté sans cesser de la fixer. Dans sa tête une autre question se posait. tout à l'heure quand il avait voulu partir, elle avait retenu. Maintenant qu'elle avait le pouvoir de Kaleel, elle restait encore, elle prenait même la peine de lui parler. Elle se disait forte, puissante... et pourtant elle était encore là à parler avec lui.
L'ambre de ses yeux se terni, miroir de son âme.

"Je dois être le seul à l'être... mais je suis désolé pour toi Aëlya."

Aëlya suivit sa tirade avec un amusement particulier. Alors qu'elle maniait l'art du langage de la façon la plus posée que l'on puisse imaginer, le garçon commençait à s'emporter et se permettait même de la tutoyer. Le pauvre, il en savait des choses. Mais sur elle, il ne savait rien. Même les prêcheurs n'avaient aucune idée de ce qu'elle pouvait bien vouloir au fond de son cœur, cerné dans la glace. La jeune femme l'observa comme une attraction avant de réfléchir, laissant les paroles du garçon couler sur elle dans un bourdonnement lointain. Ses parents morts. Et elle devrait sa grandeur aux prêtres, qui n'ont voulus que remettre ses géniteurs dans le droit chemin ? Non. Sa grandeur, elle ne la devait pas aux "assassins" de ses parents. Sa place, elle se l'était faite seule avec les Faënarii. Dont personne hormis elle ne savait vraiment où ils pouvaient bien se terrer, dans quelle recoin dissimulé à son pouvoir ils s'étaient réfugiés.

Quant à ses faiblesses, elle les laissait de côté. Châtiée étant enfant lorsqu'elle s'attardait sur ses points faibles, elle les avait oublié, du moins mis entre parenthèses. Son manque d'affection, de reconnaissance. Elle n'avait jamais aimé, n'avait jamais été aimée et cela n'allait pas être maintenant que le déclic s'effectuerait. Cela n'allait pas être un gamin insignifiant qui lirait en elle comme dans un livre ouvert. Elle se leva, la tête dans ses pensées. Elle avait besoin d'espace, d'un territoire, d'un monde où évoluer... pour chercher. Et trouver. Quoi ? Elle ne le savait pas encore.

"Si seulement tu savais lire les forces des personnes autrement qu'en matière physique ou magique, tu saurais où je peux réellement exceller. Mais tu es et resteras toujours aveugle sur mon âme, personne ne peut lire en moi."

Même pas moi, se disait-elle. Il n'y avait aucune amertume dans sa voix calme et posée. C'était lancé sur le simple ton d'une constatation. Mais bientôt le naturel refit surface. Aymeric l'avait envoyée ici par erreur. Mais il n'avait pas prémédité l'énormité de son erreur. Il avait envoyé ici la seule femme capable de mettre vraiment en danger les défenses déjà en péril d'un monde simple à conquérir. Ses fidèles, les croyants derrière elle sur ce monde, la totalité de ses pouvoirs lui seraient restitués et là, la plus solide des magies ou la plus acérée des déterminations ne saurait se mettre en travers de sa route. Même si pour réussir il lui fallait détruire ce monde pour en reconstruire un autre. Cependant, ce lien constituait un réel problème en soi et il fallait qu'elle trouve le moyen de le mettre en sourdine.

Le pouvoir de Kaleel avait quasiment achevé sa fusion avec ses pouvoirs et l'air autour d'eux sembla grésiller un court instant avant de retrouver sa plénitude. Une partie voilée de ses dons venait d'être découverte à nouveau, elle avait la puissance nécessaire pour mettre son plan à exécution. Son plan à elle ? Peut-être pas... Fermant les yeux et son esprit par la même occasion, son attitude bascula lentement vers une tristesse indéfinissable. Au point même où, lorsqu'elle rouvrit les yeux, des perles naquirent au coin des deux émeraudes qui lui servaient de regard. Elle fixa un moment un lac au loin, puis soupira :

"C'est facile de mettre le doigt sur les points faibles d'une personne. Mais ça peut coûter la vie d'aider quelqu'un à vouloir reprendre goût à la vie. C'est simple de mettre en relief les échecs individuels, aussi simple qu'est la difficulté tenante de vouloir sauver quelqu'un d'une vie qui ne lui était pas destinée. Et tu n'es pas étranger à ce que je dis, Encrelune, tu en es l'exemple le plus éloquent que je connaisse."

Sa voix tremblait un peu, mais était tranchante d'une réelle amertume. Elle ferma les yeux en baissant un peu la tête puis marcha pour se planter devant lui, ne prenant pourtant pas la peine de se baisser. La Nymphe campa sur ses positions et poursuivit :

"Tu prends bien soin de rappeler des échecs poignants mais qu'en est-il de toi ? Comment réagirais-tu si on massacrait ta "famille" et qu'on te faisais évoluer sur une route qui n'est pas la tienne ? Aurais-tu toujours autant d'aplomb qu'en soulignant les faiblesses des autres ? Je ne pense pas. Tu dis que je ne connais pas la différence entre un territoire et un monde, mais je doute que tu connaisse la définition du mot "compassion". Malgré que, soi-disant, tu me connaisse, malgré tout, j'ai toujours de la compassion..."

Aëlya prit une profonde inspiration et leva ses yeux brillants vers la tombe d'Ikana. Sa main gantée de noir se posa sur le marbre un peu craquelé en différents endroits avant d'achever d'une voix sincère. Troublée. Grave :

"... juste personne à qui en témoigner."

L'enfant se sentit troublé par les paroles de la femme, et, bien que quelque part dans son âme il sentit sa famille lui dire de ne pas le faire, il se lança. Il enferma à double tour son lien avec sa famille, les relégant comme des spectateurs. La seule personne dont il aurait accepté les conseils, à ce moment précis, aurait été Tyerrhi, peut-être...

"Ce qu'il en est de moi..."

Il fronça les sourcils sans la quitter des yeux. Il se contre fichait de prendre un risque, aussi énorme qu'il était.

"Si tu tiens vraiment à savoir, je vais te répondre. Je n'ai pas connu mes parents, et ma véritable famille a déjà été massacré. Tu disais qu'ici ce n'était pas mon territoire, c'est vrai. Je me suis évadé de mon orphelinat et j'ai fais quelque chose d'interdit. Alors on m'a condamné à mort. Le frère dont je t'ai parlé est venu me chercher, m'a ramené ici, dans une nouvelle famille."

Il repoussa la vague d'émotion qui tentait de le submerger au fur et à mesure qu'il parlait. Il avait mit de côté son passé, il se souvenait maintenant pourquoi.

"Je te respecte, depuis le début et encore maintenant. je connais les prêcheurs, Faënaris, ton nom Aëlya, ce que tu es, et même ton visage. Je me souviens de toi parce que je t'ai déjà vu."

Il la respectait, il aurait du la haïr. Mais "on", l'illusionniste, lui avait apprit ce qu'on pouvait obtenir comme vie avec un sentiment pareil. Il lui avait montré la vie qu'il avait eut, la vie d'Ikana.
Le regard sec de l'enfant resta fixé dans celui de la femme, son visage de marbre, sérieux comme un roc, restant imperturber par ce qu'il disait.

"Quand on a massacré ma famille j'ai pleuré, j'ai juré de les venger, que je tuerai leurs assassins. On m'a placé sur une autre route, je n'étais rien et je restais rien. Seulement je voulais voir les coupables, alors je me suis enfui. Et je l'ai vu le coupable. je l'ai vu sans qu'il ne me voit, mais d'autres m'ont vu."

Sans qu'il ne s'en apperçoive, il s'était mit à parler un peu plus vite, même si il conservait son assurance. Il fixait Aëlya sans hésitation, fixement, sans même battre les paupières.

"Je t'ai vu toi Aëlya, je t'ai vu là-bas, à Faënaris. On avait tué mes parents en ton nom, et moi on a voulu me tuer pour t'avoir vu."

Sa voix tremblante résonnait avec amertume sur les ruines de l'école, sur un ton de verre brisé. Plus il parlait, et plus la flamme dans ses yeux se ternissait, plus son regard tremblait. Il sentit l'émotion de sa "famille" et les repoussa un plus loin, pour rester seul un peu plus longtemps.
Il resta muet, paralysé par ses souvenirs. Quand il reprit le contrôle de sa voix, une larme s'était déjà échappée de ses yeux pour glisser sur sa joue.

"Imaginati, toi qui imagines ce que tu veux, imagines-tu le nombres de gens qui ont été tué en ton nom?"

Ses poings crispés hors de ses poches se serrèrent plus fort, blanchissant ses jointures.

"Comment peux-tu ne pas avoir de compassion pour nous!"

Son cri se répercuta un long moment. Il détourna les yeux, se sentant vaincu. Il ne savait pas ce qu'elle voulait, mais là, il admettait sa défaite. Il venait de s'inclure dans le peuple de Faënaris, chose qu'il n'avait jamais fait. Il venait d'admettre que non, il n'était pas chez lui ici, il n'était pas sur son territoire, ni sur son monde. Il baissa la tête vers le sol, le rideau de ses cheveux soyeux dissimula son visage où l'unique larme qu'il venait de verser s'était immobilisée, brillante, faible. Personne ne vint le réconforté, il ne voulait pas d'eux. Pas pour l'instant. Quand il avait haussé le ton, quand son cri avait sonné comme un coup de tonerre, il les avait tous senti disparaître pour le laisser seul. Il avait perdu, et pas seulement contre elle, mais surtout contre lui. Sans l'illusionniste, il serait devenu lui aussi un soldat des faënarii, il aurait lui aussi tué pour elle, en utilisant son nom comme faire-valloir. il leva une main vers son visage, pour l'y poser, recouvrant son oeil et sa joue, les doigts crispés dans ses cheveux.
Il avait trouvé Aëlya pitoyable, il l'était encore plus. Tout ce qu'il lui avait dit était également valable pour lui. Parce qu'il avait eut la flamme il s'était crû fort, alors qu'il était toujours aussi faible. Il était aussi lamentable qu'elle.
Le silence des ruines fut de nouveau troublé quand il ne pu plus contenir un sanglot, un seul, en même temps qu'il murmurait.

"J'ai eut un ami pourtant, Tyerrhi, il m'a apprit à ne pas te haïr."

Il renifla en respirant profondément pour essayer de reprendre son calme, sa main retomba sur son côté. Il pencha la tête pour la regarder à travers le voile de ses cheveux. Ses yeux sombres d'ambres se posèrent dans ceux de l'Imaginati.

"Moi, j'ai de la compassion pour toi."

Sa voix quasiment inaudible se cassa sur le dernier mot, et d'un geste sec il se retourna pour enfouir son visage, dans ses deux mains. immobile, il ne pleurait pas, mais se refusait à devoir affronter cette adversaire qui l'avait vaincu pour la troisième fois. Pour elle on avait tué sa famille et il avait pleuré. On avait voulu le tué, et il avait pleuré. Et aujourd'hui, alors qu'il s'était promis de ne plus le faire, il avait versé une larme, une seule.
Il se redressa, les bras croisés sur sa poitrine, ses mains crispées sur ss épaules. Un souffle d'air passa ses lèvres, qui sans le lourd silence des ruines n'aurait pu être entendu.

"J'ai perdu."

Une larme. Vaincu par une larme unique. Qu'il ne versait même pas pour lui.
Mais pour elle.

Aëlya n'avait pas regardé Encrelune durant tout son récit. Ses yeux étaient fixés sur la tombe d'Ikana. Elle avait enfin eut ce qu'elle cherchait à faire, ce qu'elle voulait depuis que ce gamin avait voulu la rabaisser. Qu'il admette. Simplement. Et ce qu'il n'avait pu percevoir était que tout, son beau visage, ses yeux brillants, sa tristesse, tout n'avait été qu'esbroufe. Elle avait joué sur toute la ligne et elle avait vaincu ses défenses. Pour qu'au cas où elle ait à l'affronter un jour, elle sache où frapper. L'instinct de défense qu'elle avait voulut développer contre les prêcheurs, enfant, et que finalement elle avait développé contre la population. Mais, malgré son jeu d'actrice, elle poursuivait la comédie.

Au point même qu'elle fasse rouler une larme le long de sa joue, aussi belle que du cristal liquide. Intérieurement, elle souriait. Si les parents du petit garçon avaient été tués, il y avait une raison et c'était comme ça. Les siens n'avaient pas voulu admettre sa puissance et ceux du petit garçon non plus et il était juste qu'ils y laissent la vie. Toute âme ne croyant pas en elle lui était inutile, donc futile. Et les prêcheurs savaient depuis longtemps comment se débarrasser de la futilité. Et maintenant, sa mine en apparence ravagée par les émotions, elle s'apprêtait à porter le coup de grâce au jeune garçon. Qu'elle l'achève et il lui appartiendrait de décider de sa destinée, sa "famille" et ce Tyerrhi n'y pourraient rien.

"Alors pour toi, Encrelune. Pour toi, je vais ramener Aymeric. Ne me donne rien en retour, surtout."

Sa voix était sincère, douce et presque attachante. Mais le fond de ses pensées était trop perverti et depuis trop longtemps pour qu'elle puisse changer aussi rapidement. Même si, au fond d'elle-même, elle sentait qu'elle se haïrait pour quelques temps. Lentement, elle franchit quelques gravas et se mit au milieu des ruines, auprès d'Encrelune. Elle frappa une fois dans ses mains et les étendit vers le ciel, le grimoire gravitant auprès d'elle. L'atmosphère, le temps parut se figer progressivement et se nimber d'une clarté un peu plus blanche, comme si ce lieu avait brusquement retrouvé sa pureté. L'Imagination de la Nymphe était en action.

En action et au moment où elle allait vraiment user de son pouvoir, autant pour changer les places que pour emmener Encrelune à Faënaris, qu'elle puisse lui soutirer tout son pouvoir jusqu'à la dernière miette, un son se fit entendre. Une parole. Sa voix, si bienveillante autrefois, marquait aujourd'hui la force. Implacable. Magie parmi les magies.

"Ton jeu d'actrice n'abuse que ce garçon, Aëlya."

La jeune femme pivota, son expression un peu surprise lisible facilement sur le visage. Face à elle et tout près d'Encrelune se trouvait un homme. Il aurait été impossible de déterminer son âge tant il paraissait vieux et pourtant si vivace. La sagesse imprimée dans les yeux mordorés, il portait une grande robe de couleur un peu nacrée, brillant presque de sa propre lumière. Il portait une longue barbe grise et des cheveux semblables. Devant Aëlya, elle l'avait compris, se tenait un homme qui était rentré dans l'histoire. Cet homme, près d'Encrelune dégageait une telle aura de force et de mystère qu'il était impossible de douter de son identité. Face à elle, se tenait l'un des plus grands Sorciers de ce monde. Quadehar Akira.

"Ainsi, la mort ne vous a pas emporté dans ses griffes.
- L'un des Gardiens des dimensions, voilà ce que je suis devenu. C'était une idiotie de croire que je te laisserai emmener Encrelune. Les autres Gardiens sont en route.
- Quand ils arriveront, je serai partie. Et toi... tu seras mort !"

Ayant compris ce qui se passerait, Quadehar franchit le pas et se plaça devant Encrelune, le poussant avec force en arrière. De sa paume jaillit un rayon aussi nacré que sa robe et percuta le faisceau vert qu'avait projeté Aëlya dans leur direction. L'expression triste de la jeune femme avait littéralement fondu pour laisser place à un masque de haine. Elle tentait d'orienter des éclairs qui sortaient des deux attaques vers Encrelune, dans l'espoir de le toucher, mais Quadehar réorientait le rayon à chaque fois pour éviter cela. Alors que l'Imaginati avait un rictus de colère, l'homme sans âge était posé, serein. Sûr de ses capacités.

Sachant qu'elle n'aurait pas le dessus de cette manière, elle rompit le lien magique et s'immergea dans son Imagination. Devant Quadehar et Encrelune, un immense serpent, le même que celui qu'elle portait en tatouage à l'épaule, se matérialisa, composé d'un brasier aussi ardent qu'un volcan. Les ruines n'étaient plus dans le monde contemporain, elles étaient dans une bulle située à l'exacte équidistance entre le monde contemporain et médiéval. Le pouvoir d'Aëlya était revenu dans toute sa grandeur, mais la force du vieux Gardien n'avait pas encore donné toute ses ressources. Le serpent de flammes s'élevait à cinq mètres de haut, illuminant les ruines d'une clarté orangée et rougeoyante. Quadehar ne se démonta pas et quand la bête de l'Imaginati frappa, il leva simplement sa main et fit un mouvement rapide horizontal. Le serpent se figea et s'effondra dans un brasier que l'ancien directeur de Magie renvoya avec puissance sur son auteur. Aëlya enragea et fit un signe de la main, faisant disparaître les flammes qui voulaient la toucher. Son visage était redevenu plus calme mais on y lisait la haine. Le désir ardent d'achever ce qu'elle voulait : emmener Encrelune. Et Quadehar, entre les deux, n'avait pas dit son dernier mot, décidé à tenir jusqu'à ce que les deux autres Gardiens n'arrivent.

Derrière l'homme, l'enfant se prit à dévorer de syeux le visage d'Aëlya. Il aurait voulu savoir quelle était la part de vrai dans tout ce qu'elle avait dit. Savoir si il y en avait au moins une. Et de la voir pleine de haine le poussa à croire qu'il s'était fait avoir, en partie, sur presque toute la ligne.
Les quelques mots échangés entre l'Imaginati et l'homme apparu s'étaient glissées sur sa conscience sans le toucher. il n'avait entendu qu'un chose, son prénom. Et dans la bouche de cet homme il semblait vouloir dire autre chose.

Quand il parvint à s'extraire de son trouble, l'homme était toujours entre lui et Aëlya. Par réflexe, Encrelune se mit à chercher à coller une identité à ce type, cherchant dans la galerie de visages qu'il partageait avec sa famille un équivalent. En même temps, il ne perdit pas conscience de tout autour de lui.
Bizarrement, avoir parlé de lui l'avait un peu libéré et il se sentait plus léger. C'était étrange, mais moins que ce qui le retenait ici et l'empêchait de se téléporter n'importe où ailleurs. Il parvint même à retrouver son calme habituel. Il arracha ses yeux d'ambres au dos de son sauveur, puisque sauveur il semblait être, et fixa la femme en face d'eux. En fait sa défaite ne semblait plus si écrasante que ça, tout bien réfléchis, elle avait apparement tout inventé pour mieux le manipuler... Il croisa enfin ses yeux verts et ne les lâcha plus pendant quelques secondes. Il n'y aurait eut Tyerrhi, il aurait haït cette femme jusqu'au plus profond de lui.
En pensant à l'illusionniste, il trouva dans la galerie de souvenir un visage qui aurait bien pu coller à celui de l'homme. Un souvenir de Tyerrhi donc. Mais le souvenir d'un homme mort.
L'enfant arracha son regard à celui d'Aëlya pour examiner une nouvelle fois le type. Comme il avait apprit à le faire, il se rmeit à diviser son esprit entre diverses tâches. Il chercha le contact avec son ami d'un côté, d'autres informations sur son sauveur d'un autre. Sans rien perdre du combat qui se livrait sous ses yeux.
Au bout d'un court moment, il oubliait que le temps dans sa tête n'avançait pas forcément à la même vitesse que dans la troisième dimension, il se rassembla, laissant une part de lui appeler Tyerrhi. Il avait tout juste commencer à jeter un oeil à ces découvertes, quand il croisa de nouveau le regard d'Aëlya. Il n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il faisait que déjà il s'était lancé en avant, cherchant à dépasser Quadehar. Inconsciement, une de ses mains s'aggripa au bras du sorcier, comme si l'enfant voulait s'empêcher d'aller de l'avant tout en se jetant sur Aëlya. Partagé entre son envie de lui craché au visage, et la conscience du danger, il ne fit que crier à la figure de l'Imaginati, la flamme blanche dévorant de nouveau ses yeux dans leurs intégralités, brûlant du besoin de se venger.

"Tu es aussi lamentable que je l'ai crû! Tyerrhi te tuera!"

Il aurait voulu lui dire qu'il la détestait, qu'il la tuerait, qu'il vengerait sa famille et tout les autres, qu'il se vengerait, lui. Ses paroles restèrent suspendu à ses lèvres. Il sentit dans ses mains son pouvoir se rassembler, cherchant à agir, commandé par ses sentiments.
Puis il lâcha le sorcier, manquant de tomber en arrière, et du faire quelques pas pour se rétablir. De nouveau face au dos du sorcier, il s'essuya le visage, la bouche entrouverte. Il ne s'en était même pas rendu compte, que sans le vouloir il avait invoqué le prénom de l'illusionniste, l'arborant comme un tabou.
Sans cesser de fixer l'Imaginati avec rage, une part de lui se réveilla doucement. Cette part que l'illusionniste s'était efforcé d'enfouir et de faire disparaitre, pour l'aider. Son côté d'enfant n'ayant jamais grandit. Comme Ikana.

Lorsque la courte pause se déroula, Quadehar ne quitta pas des yeux son adversaire, guettant sous son air posé et sage le moindre mouvement. Il n'avait pas envie de la tuer, il ne devait pas la tuer. Un Gardien devait protéger et ne pas attaquer. Et puis, Aëlya était différente de l'image qu'elle donnait. Encrelune ne le savait pas, les prêcheurs ne le savaient pas, Aëlya même ne le savait pas. Mais sa clairvoyance avait lu en elle et avait vu ce que personne n'aurait pu voir tant cela était enfoui dans des profondeurs inextirpables. Le vieil homme de haute taille regarda subitement le garçon s'accrocher à son bras, écouta ses venimeuses paroles, comprenant ses pensées les plus secrètes. Puis il vrilla ses yeux mordorés sur l'Imaginati.

Demeurant de marbre, elle laissa les paroles du gamin couler sur elle comme de l'eau sur la roche. Elle n'avait que faire de ses paroles, bientôt il ne pourrait même plus en prononcer une seule. Il était toujours condamné à mort jusqu'à preuve du contraire et, après lui avoir ôté sa magie, rendrait justice. Elle non plus n'avait pas eu d'enfance et ne voulait plus en avoir, il était trop tard. Et maintenant, Encrelune serait privé de la sienne. Si seulement il n'y avait pas ce débris face à elle, ce serait déjà fait. Elle lui fit un sourire qui tenait plus du rictus qu'autre chose. Tyerrhi n'avait pas la force de l'abattre. Personne n'en avait le pouvoir. Ni les paroles.

Quadehar ramena fermement Encrelune et le fixa profondément. Son regard paraissait millénaire, infiniment profond, sage et vertueux. L'aura qu'il dégageait imposait le respect tant la force qui s'en échappait était considérable. Gardien des dimensions, une magie intense était nécessaire à pareil statut, l'importance était primordiale. Il serra le bras du petit garçon, ses yeux mordorés dans les siens. Une attitude sévère et non plus sereine sur le visage se peignit, il lui murmura sèchement mais pas non plus méchamment :

"Tu te trompe Encrelune. Ce n'est pas Aëlya qui te veut du mal. Aëlya ne veut de mal à personne, c'est l'âme des prêcheurs dans son corps qui souhaite ta perte. Ne fais pas la confusion !"

Il le relâcha un peu brutalement et se tourna, retrouvant sa posture de défense. Les paroles qu'il avait tenu étaient un peu voilées de mystères. Pourtant, elles constituaient une première clef vers le cœur du problème de la jeune femme. Et cette clef, il aurait pu la garder pour lui. mais non, il jugeait bon d'en informer le petit garçon, que son amertume s'apaise. Qu'il puisse peut-être un jour se servir de cette clef pour forcer une porte close.

Dans une dernière grimace déformée par la rage, la jeune femme imagina une sphère mortelle et lumineuse puis la propulsa à nouveau sur le gamin, sur ce présomptueux. Le Gardien se plaça avec fluidité devant lui et libéra son antique magie. Aëlya avait prévu le coup. Elle porta ses mains devant elle, l'une au dessus de l'autre. Le peu de magie utilisé par Quadehar se changea en flot intarissable qui fut entraîné avec une puissance incomparable vers l'espace entre les paumes de l'Imaginati. En effet, elle était une combattante au talent presque impossible à rivaliser. Absorbant avec vitesse et fracas la force de Quadehar, elle stoppa le flot avec une sphère nacrée et noire entre ses deux paumes puis relâcha toute cette force en étendant les bras, opposée à la sienne, dans une onde explosive. Cette fois, Quadehar ne put résister, il bascula au sol et releva vite la tête.

Les ruines éclataient, soufflées une nouvelle fois par la force de la Nymphe. Les morceaux s'aiguisèrent, imaginés par la jeune femme, et se relevèrent au moment où elle-même leva les bras. Ils lévitèrent vers les airs en se groupant puis fusèrent droit sur Encrelune et le Gardien. Ce dernier eut un éclair de défaite dans les yeux avant de retrouver sa lucidité et sa sérénité. Il leva sa paume, toujours à moitié couché par terre et relâcha le flux de sa magie gardienne. Une onde balaya avec douceur les ruines de l'École et rencontra tous les projectiles mortels, irradiant de lumière au point qu'Aëlya fut momentanément aveuglée. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle eut une mine déconfite. Impossible !

Se relevant lentement mais sûrement, Quadehar était ressorti indemne de cet ultime tour de force et d'ingéniosité. Et Encrelune n'avait pas été touché, protégé avec efficacité par le vieillard. Encore prêt à tenir face à elle, le vieil homme s'avérait être un duelliste aussi rusé et puissant qu'Aëlya, sur ce terrain. Ce combat était vraiment époustouflant dans tous les sens du terme. Mais là, la Nymphe était à court d'idées et était persuadée qu'elle n'aurait pas le dessus, cette fois.

"Stoppe là tes efforts, Aëlya. Tu n'es pas en mesure de te mesurer à un Gardien.
- Pour l'instant. ça ne va pas durer, sois en certain vieillard."

Elle eut un sourire charmant. En plus d'être forcée de retourner dans son monde - avec le grimoire tout de même - la prochaine fois, elle devrait faire face aux Gardiens pour pouvoir rallier la dimension contemporaine. Elle ne pouvait plus voyager librement entre les mondes, bloquée temporairement. Jusqu'à ce qu'elle trouve le moyen de se débarrasser d'eux ce qui s'avérerait être un exploit en soi. La jeune femme braqua ses yeux verts sur le gamin, voyant que Quadehar était toujours aussi impénétrable.

"Ce sera pour une prochaine fois, Encrelune. A bientôt..."

Un autre sourire et elle irradia d'une lueur verte avant d'éclater en milliers de petites particules. Cette fois, elle était bel et bien partie, Aymeric reviendrait bientôt, c'était obligé. Logique et obligé. Quadehar frappa dans ses mains et la lueur blanche disparut. Dans sa barbe, un soupir neutre s'échappa, ils étaient revenus dans le monde contemporain. Il posa sa main sur l'épaule du garçon et risqua un sourire, un sourire paternel et bienveillant :

"Comment te sens-tu ?"

L'enfant resta immobile à fixer l'endroit où se tenait encore Aëlya quelques secondes plus tôt. La main de Quadehar le fit sursauté, et il regarda autour de lui un peu perdu, loin de l'Encrelune plein de sérieux et d'assurance qui se permettait de sermoner l'Imaginati. Il balbutia vaguement une réponse au gardien.

"Je sais pas..."

Puis il posa ses yeux ambrés dans ceux de l'homme, serrant les lèvres. Quadehar Akira, l'ancien dircteur de l'école, le père d'Ikana et Kristie. Kristie, la femme que Tyerrhi avait aimé, il y a longtemps... et à qui il avait volé le pouvoir, quitte à en crever. Ses yeux se remplirent de larmes, il ne se sentait plus aussi fort qu'avant. Il rouvrit son coeur aux membres de sa famille, et les entit ronronner dans son fort intérieur, le réchauffant un peu. Seulement il manquait l'illusionniste, et penser à lui lui rappela que sans Aëlya il aurait du mal à tenir sa promesse.
Avant que Tyerrhi ne vienne le chercher, il ne s'était jamais vraiment posé de question sur ce qu'il était, sur les sentiments humains. il n'en avait pas vraiment eut le temps, à l'époque juste la haine des prêcheurs et le besoin de voir l'Imaginati le hantait. Ensuite, pendant qu'il avait apprit et apprivoisé la flamme, il avait gagné en assurance, jusqu'à ce qu'il face définitivement parti de la "famille". Alors il s'était crû fort. il avait de la magie vraie, capable de lutter contre les prêtre, il avait une famille qui l'aimait. Tout pleins de choses qu'il n'avait pas eut, jusqu'alors.

Il se souvenait parfaitement bien du jour où il avait parlé de tout ça avec Tyerrhi, et où celui-ci lui avait dit de se méfier, que rien n'était jamais gagné, et qu'il était facile de tout perdre. Ce jour-là, lui semblait-il, l'illusionniste lui avait parlé des Akira et de leur pouvoir. Et, pas aussi adulte que son attitude le laissait croire, il n'y avait pas vraiment crû. Maintenant il comprenait ce qu'avait voulu dire Tyerrhi. Parce qu'en quelques minutes, Aëlya lui avait redonné conscience de sa faiblesse. Elle lui avait rappelé qu'il n'était pas d'ici. Que la magie n'était pas sa véritable essence. Que ce qu'il appelait sa "famille" n'était qu'une image qui servait de substitu à sa vraie famille. Elle lui avait remit en tête qu'il n'était qu'un gamin.

"Non ça va pas..."

Il leva la tête vers Quadehar pour pouvoir le regarder. Il se rendit compte qu'il était encore petit, même pour son âge. Il pensa à Kaleel qui avait la même taille que lui de son vivant, et deux ans de moins. Physiquement, il était un efnat. Et mentalement, contrairement à ce qu'il avait voulu croire, il en était un aussi.
Il aurait voulu sauter et se pendre au cou du gardien, les restes de sa fierté déchue l'en empêchèrent. Il baissa la tête et fixa ses pieds.

"Je n'ai rien vu venir avec Aëlya. Je me suis laissé pièger comme un enfant, comme un débutant."

Il posa une main devant sa bouche, se retenant de pleurer en femrant les yeux. puis il reprit son souffle et continua.

"Maintenant je peux plus ramener Aymeric. Et Tyerrhi a volé le pouvoir de kristie et préfére crever avec, et il ne reverra pas Aymeric avant de mourir."

Il essuya ses joues et croisa les bras, adoptant la même position que tout à l'heure.

"Personne ne pourra plus le convaincre de renoncer. J'ai tout raté..."

Il lâcha un gémissement semblable à la plainte d'un chiot, qui résonna longuement dans les ruines, presque sans s'arrêter, alors que l'enfant laissait échapper quelques larmes.

Quadehar enleva sa main juste après que le garçon lui ai répondu. Il ne voulait pas réellement s'attacher à cet enfant. Il était Gardien, voyageant entre les dimensions mais il n'avait déjà pas le droit de s'aventurer à l'intérieur même des dimensions. Un Gardien ne s'attachait qu'à son devoir et la puissance à manipuler pour conserver l'équilibre. Et puis, cet enfant, si frêle et perdu ne lui rappelait que trop son petit-fils. Ou son fils. Ou les deux, qui sait, les similitudes étaient bien plus que physiques. Oui, il ne devait pas et ne voulait pas s'attacher à quoique ce soit. Tout ce à quoi il s'était attaché avait basculé, alors. Encrelune en était encore la preuve.

Oui, l'Imaginati était extrêmement forte, il l'avait remarqué dès qu'il l'avait vue. Non pas seulement une magicienne au talent presque insurmontable mais aussi une manipulatrice remarquablement douée qui n'hésitait pas à exploiter le moindre filon qui pourrait lui rapporter une mine entière. Elle avait violé l'intimité du petit enfant et avait mit à sac la moindre parcelle de confiance qu'il avait mit tant de temps à posséder. Elle devenait une réelle menace et si deux mondes tombaient sous sa coupe, le troisième ne serait qu'une broutille, c'était certain. Il fallait être prêt, que tous les Gardiens se réunissent et se soudent pour faire face à un combat imminent, c'était à craindre.

Lorsqu'il admit s'être laissé berné, le vieil homme s'accroupit, sa longue robe à la couleur nacrée devenant presque aussi fluide qu'un cours d'eau. Il le regarda avec ce pétillant si particulier et lui fit un sourire :

"Mais tu es un enfant, Encrelune. Et un enfant affronte des échecs pour grandir. Tu n'es pas seul, j'étais là pour te protéger et je le serai encore pour toi comme pour beaucoup d'autres, c'est mon rôle."

Le vieil homme tourna la tête et regarda l'endroit où s'était trouvée Aëlya. Il fit un bref sourire sous sa longue barbe grisonnante en voyant une lueur bleutée composée de particules se former avant d'éclater dans une lumière aveuglante. Chacun reprenait sa place. Lorsque la lumière s'estompa, un grand jeune homme blond avec des yeux de saphir se tenait là, un petit bébé dragon sur l'épaule. Aymeric. Lentement, le vieil homme se leva de toute sa hauteur, considérant avec détachement le nouvel arrivant. Celui-ci fit de même et le pointa du doigt, en fronçant les sourcils :

"Je vous connais ! Vous êtes...
- Ton parrain, Aymeric. On ne s'est pas beaucoup vu, mais ton père tenait à ce que je sois ton parrain."

Le jeune homme n'accorda pas tellement d'importance à la chose car, comme il l'avait dit, ils ne s'étaient pas beaucoup vus et ne se connaissaient quasiment pas. Quadehar regarda Encrelune et lui murmura :

"Là où Tyerrhi se trouve, je n'ai pas le droit de me rendre, je ne devrais déjà pas être là. De plus, il ne tient qu'à un fil qu'Aëlya rembarre les Gardiens, nous devons nous réunir pour être prêts à la maintenir à distance. Mon temps ici est passé..."

Il se pencha, et lui fit un clin d'œil en prenant sa main dans la sienne. La main de l'ancien directeur semblait être presque un courant d'air tant elle était légère. Il plongea ses yeux dans les siens et fit signe à Aymeric d'approcher :

"... mais si ça peut t'aider, je peux braver une règle l'espace de quelques minutes si nécessaire. Alors, on va le voir tous ensemble, Tyerrhi ?"

Aymeric apparut, l'enfant arrêta de pleurer, ou plutôt le gémissement grinçant se tu, et il détailla le nouveau venu avec un intêrét non dissimulé. Il mit quelques secondes à comprendre que c'était ce type là que Tyerrhi connaissait. Il s'essuya les deux joues du dos de sa main libre, l'autre nichée dans celle du gardien. Alors, finallement, il n'avait pas vraiment échoué...
Il recommença à faire attention à ce qui se disait autour de lui, au moment où Quadehar répondait au danseur. Un reflet désespéré passa dans les yeux ambrés d'Encrelune, quand l'ancien directeur souligna le fait que sa présence ici n'avait que trop duré. Puis un sourire éclaira le visage du garçon, lui redonnant un visage plus srein, plus sûr de lui. Retourner auprès de Tyerrhi, c'était s'assurer qu'il allait encore bien, un minimum. Y retourner avec Aymeric c'était même pouvoir lui montrer qu'il avait réussi, et qu'il avait gagné plus que la vie d'un homme dans cette histoire. Il avait aussi réalisé, qu'aussi forte qu'était sa magie, il restait un enfant. Et enfin, y retourner avec Quadehar, c'était rejoindre l'illusionniste avec un espoir de le faire changer d'avis.

"Je veux bien."

Son sourire s'étira un bref instant alors qu'il regardait Quadehar droit dans les yeux, puis Aymeric. Puis son visage sérieux refit surface, quoiqu'adoucit par un sentiment nouveau, changer par ce qu'il venait de vivre. Encrelune sentit contre lui le médaillon que tyerrhi lui avait demander de donner à l'autre zouave, et manqua de lâcher la main du gardien pour s'exécuter. Seulement, si Aymeric venait au manoir avec eux, il n'avait pas besoin de lui donner le colifichet pleins de souvenirs... du moins pas tout de suite.
Il posa sa main dessus, la glissa dans son coup avant de la remettre dans sa poche, position habituelle qu'il arborait tout le temps.

"Tyerrhi est dans son manoir, dans la chambre où il était quand il était petit."

Il tourna la tête vers Quadehar, ses yeux se perdant d'abord dans le ciel au dessus du gardien, puis dans les yeux même de ce dernier. Quelques minutes c'était mieux que rien, et il était préférable de ne pas les gaspiller à sonner à la porte du manoir et gravir les marches jusqu'au semi démon...

Aymeric regarda autour de lui, un peu déboussolé. Ils étaient où, là ? Il n'y avait que quelques minutes encore, il se trouvait derrière son père, sous l'Océan, dans une cache. Et puis d'un coup, une lumière bleue et changement radical de décor. Aussi court fut le voyage, il avait senti une intense haine effleurer ses pensées et avant qu'il ait eu le temps de comprendre, la sensation s'était évaporée. Ses yeux bleus se posèrent sur le paysage désolé dans lequel il se tenait, avec son parrain et un gosse pas plus haut que trois pommes. Bon, trois grosses pommes alors. Les ruines lui fichaient froid dans le dos, il ne put réprimer un frisson sans avoir idée de la catastrophe qui avait pu engendrer pareil désastre. Il laissa s'écouler quelques minutes, s'apercevant que le petit Plop était toujours avec lui. Il lui fit un sourire rassurant et le caressa avec douceur, passant sa main sur cette charmante petite boule de poils.

Quadehar hocha la tête sans sourire à Encrelune. Que personne ne se fasse d'illusions, il n'était ici que pour peu de temps. Personne ne le forcerait à reprendre sa place parmi les Gardiens, mais il avait le sens des priorités et la priorité se tournait à l'encontre d'Aëlya. Il appréciait Tyerrhi mais, malgré cette affection, il n'était pas le problème qui menaçait le monde. Les mondes, plutôt. Un visage neutre se peignit pour remplacer la bienveillance qui le caractérisait autrefois, il tendit la main vers Aymeric en lui faisant signe de venir. Le signe était sans équivoque et interdisait la possibilité de se dérober. Le danseur marcha timidement jusqu'au vieillard et prit sa main dans la sienne au moment où le Gardien serra celle du petit garçon.

"Alors, dans la chambre de Tyerrhi."

Ne fermant pas les yeux, il libéra son ancienne magie et un cercle de lumière nacrée se traça autour du trio. En n'ayant pas fermé les yeux, un éclair de tristesse passa dans ses yeux mordorés, il venait de voir les trois tombes presque détruites. Il brilla et enveloppa avec une rapidité incroyable le groupe en les noyant sous une aura en apparence constituée de fumée lumineuse et de fils d'énergie. La consistance nuageuse brilla un moment puis fusa vers le ciel à une vitesse fulgurante. Ils étaient partis. Les tombes s'étaient reformées, scintillantes de leur propre lumière et fleuries au-delà du pensable...

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