Le spatioport

???

Deux heures d'ici se sont écoulées sans que rien ne se soit passé. Je suis toujours aussi désorienté. Est ce que je deviens fou ? Je ne sais pas, mais rester là à ne rien faire, c'est tuant. Je vais aller marcher un peu pour me détendre.

Je rebouche mon stylo, ferme le journal avec une petite clé et le glisse dans mon sac. La clef reprend sa place autour de mon cou. Pour autant que je m’en souvienne, elle a toujours été là. Elle fait partie des choses qui me retiennent à la réalité.
Je finis par me lever de mon et j’époussette es vêtements du plat de la main. Du noir. C'est pas l'extase, mais c'est mieux que rien. J’ai pourtant l’impression qu’une partie de moi aime cette couleur. Etrange, mais je ne vais pas pousser plus loin mes interrogations. Je n’en ai pas le courage.
Tout autour de moi, le gens se croisent et se recroisent. il y a des gamins qui pleurnichent, des embrassades, des au revoir. Et la voix sans timbre de l'hôtesse qui égraine les départ et les arrivées. Ca fait une heure que je l’entends. Une heure qu’elle me tape sur les nerfs. Surtout le petit carillon qui l’annonce. Elle ne pourrait pas la fermer de temps en temps ?

Ca y est, elle recommence. Mais ferme là !!! Je donne un coup de poing dans le pilier devant moi. La vache, ça fait mal, mais qu’est ce que ça soulage. La douleur me permets de penser à autre chose. C’est bien ça. Je me masse la main et regarde l'architecture. Je n’y connais rien dans ce domaine, mais ça me fera peut-être oublier un moment mes problèmes. Mauvaise idée, ça ne fait que me donner la nausée. Les verrières au dessus changent subtilement de couleur et tourbillonnent. Les murs ne cessent de montrer des publicités criardes. Mais qu'est ce que c'est que cet endroit à la noix. Je me sens mal au milieu de tout cet espace. De ces gens. Le monde commence à tourner autour de moi. Les voix se mélangent.
Super, est ce que je ne serais pas en train de faire une crise de je ne sais pas quoi ? C'est bien ma veine. Je m'appuie sur le poteau le plus proche. tente de reprendre mon souffle.
Une forme s'approche de moi. Vaguement humaine, métallique sur les bords.

"Avez vous besoin de quelque chose monsieur ?
- Dégage, sale mécanique !!"

*Tu vois pas que tu me gènes ? Dégage avant que je te découpe en pièces détachées !! allez casse toi et laisse moi seul !!*

Je souffre, et cela doit se voir sur mon visage. Il est en feu. L’air commence à me manquer, et j’ai l’impression d’être dans un sauna. Je ne vais tout de même pas tomber dans les pommes à cet endroit ? Visiblement non. Ma main s’agrippe toujours fermement au poteau et le mode cesse de tourbilloner...

Le spatioport. Endroit toujours bondé de monde et ce, à n'importe quelle heure de la journée voire de la nuit. Ça jacasse, ça crie, ça marche, ça se bouscule mais surtout... ça ignore. Et qu'est-ce que ça ignore ? Oh, pas mal de choses, mais surtout les passants. Et si seulement certains accordaient un minimum d'attention à leur entourage, ils se rendraient bien vite compte que si d'un coup ils se sentaient moins lourds, ce n'était pas dû au dernier régime minceur énième génération, mais plutôt à cause d'un individu très sobrement habillé.

Serait-ce l'inventeur du programme minceur ? Non, décidément vous y tenez ! Non, c'est juste une personne aux traits encore juvéniles malgré sa grande taille. Du haut de ses seize années révolues, Aaron se déplaçait d'un pas simple à contre sens de ceux qui débarquaient sur Urania. Ainsi, il repérait les individus intéressants et s'emparait de tout et de rien qui passait sous sa main. Des clés, une arme, de l'argent, une cellule d'énergie (ça, il aimait bien, limite il en faisait la collection aussi bien pour la déco de sa chambre à la cité des Pirates que pour son usage personnel), bref, tout ce qui véhiculait sur les pauvres ignorants bien naïfs qui ne pensaient qu'aux retrouvailles familiales, au boulot, etc...

Les mèches noires de ses cheveux balayant son front faisaient largement ressortir le regard couleur acier qu'il baladait sur les gens qui croisaient sa route. Toutefois, c'était la seule chose qu'on voyait bien de son visage puisque ses cheveux mi longs masquaient une partie de sa face, mais cela était aussi dû au nombre incalculable d'écharpes multicolores qui voilaient son visage à partir de son nez et descendant jusque sur l'habit noir léger qu'il portait sur lui, en plus de son grand manteau sombre. Un pantalon encore un peu sombre lui aussi, sa manie de se coller des écharpes partout était la seule chose de vraiment tape-à-l'œil sur lui. Et il adorait ça. Un style vestimentaire bien à part, comme quoi on peut être Pirate et avoir le souci de son apparence. Surtout quand on était pas encore majeur.

L'adolescent tourna la tête sur une jeune fille qui l'observait avec un regard des plus significatifs. Il sourit dans son écharpe jusqu'à ce que quelque chose de dur ne rencontre violemment son torse vu l'allure de sa marche. Plié en deux, il leva la tête vers l'auteur de cette rencontre un peu brusque et découvrit qu'il s'agissait d'un genre de robot. De toutes façons robot ou pas, il aurait eu la même réaction, c'est-à-dire...

"Merde, alors ! Barres-toi, tas d'boulons avant que j't'explose !
- La politesse ne vo...
- Tu sais où j'vais t'la coller, ma politesse ??"

Avec un air artificiellement outré, la machine passa son chemin en tâchant de se fondre dans la foule pour échapper à ces deux malades qui lui avaient parlé ainsi. Une réaction typique d'un jeune rebelle. Rebelle au point d'être Pirate ! Se frottant douloureusement les côtes, Aaron leva la tête et croisa le regard d'un homme qui ne paraissait pas en très grande forme...

Parmi toutes ces voix, il y en a une qui est au moins distincte. Tout proche. Aussi gentille que moi avec cette carcasse métallique. Quelqu'un comme moi ? Sans doute pas. Lui ne doit pas avoir peur du noir.
Je m'efforce de relever la tête. d'avoir l'air un peu plus dans mon assiette. Je refuse qu'on m'emmène dans un centre de soin. Trop d'ombres là bas. Trop de silence.

*Et trop de curieux...*

Bizarre, je n'avais jamais vu les choses sous cette angle. Il y a quelqu'un qui me regarde. Deux sentiments se battent dans ma tête. Le soulagement de ne pas l'avoir fait fuir et un énervement grandissant. Comment est ce que j'arrive à penser deux choses aussi différentes en même temps. Encore une fois, je dois avouer mon ignorance.

"Moi aussi j'ai horreur de cette machine."

*Qu'est ce que tu es en train de faire là ? Te confier à un inconnu ?*
Mets la un peu en sourdine, ma conscience. C'est mon corps, ce sont mes cordes vocales, et c'est mon cerveau d'abord. Alors écrase. Je sens la conscience qui bat en retraite. Ca ma soulage mais ma peur ce cet endroit grandit subitement. Le peu de confiance qui me restait disparait subitement.
J'ai envie de crier, de taper dans tout ce qui bouge, de me rouler par terre. Au lieu de ça, je m'efforce de me tenir droit. De sourire même. Ma bouche a aussi perdu cette habitude. Mais qu'est ce que j'ai bien pu faire pendant mon absence ? Mes yeux se posent machinalement sur l'autre.
Des yeux gris, des cheveux noirs et... Ah tiens, comme les miens. Ca nous fait deux points en commun. Tu parles d'une bonne nouvelle !
Dans un dernier effort je parviens à appuyer mon dos contre le pilier et à me donner un air désinvolte. J'ai envie de lui dire un truc sympa. De lui demander s'il sait où je suis exactement.

" Heu salut, comment ça va ?"

Mon dieu, mais qu'est ce que je dois avoir l'air stupide !! Ma main échappe à mon controle et par vers ma tête. Je l'arrête juste à temps et regarde l'autre un peu gêné. Une excuse, vite !

* Aha... heu... C'est bon ma crampe est partie... C'est le mal de l'espace."

Un ricanement résonne à mes oreilles. Je tourne la tête pour voit qui est l'abruti qui se moque de moi. Personne...

Oulà... il a vraiment pas l'air bien, ce type-là. Mais peut-être pas que du point de vue physique. Aaron le regardait avec curiosité mais pas avec cette curiosité de monsieur tout le monde. Lui non plus n'était pas encore tout à fait... bah oui, y a pas d'autres termes... tout à fait "fini" dans sa tête. Un ado, ça s'emporte, ça s'inquiète, ça fait plein de choses... et en même temps. C'est ça, le souci. Ça pense à tout en même temps. Va savoir pourquoi ça pique des crises, un ado. Bref, on va pas s'étendre sur une séance de psy. Quoique ce gars-là en avait peut-être besoin.

Son regard gris exprimait presque de la compréhension et de la compassion. Mais il ne savait pas pour quoi il pouvait bien avoir de la compassion, il ne le connaissait même pas ce type. Et puis, à bien le regarder, il ne faisait pas tant pitié que ça. Ils faisaient la même taille, il avait l'air un peu plus vieux que lui, etc... non, finalement, il avait l'air normal. Un peu chahuté, mais vu le monde qu'il y a autour, c'est facile à comprendre. Il posa sa main sur son épaule sans appuyer et lui fit un clin d'œil amical :

"Te casse pas, j'ai pigé. Avec le monde autour, ça prends la tête, viens, on va dans un coin plus tranquille."

Après tout, il n'avait pas de mission, personne à voler, aucune info à arracher, pas de grand bonnet du commerce à buter. Une bonne pause, quoi. Son temps à tuer, il pouvait bien le passer en compagnie de ce gars-là. L'adolescent n'aimait pas qu'on laisse les gens ayant un problème au milieu de la rue. Ça pouvait aussi bien valoir pour un clochard que pour un vieux. On peut être Pirate et être généreux quand même, malgré une vie de débauche et d'infidélité.

Avec une sympathie nullement forcée, il lui fit signe de le suivre, s'éloignant de la foule véhiculant sur les quais pour se rapprocher des rues "normales" du statioport. Ici, le bruit était étouffé, le calme avait des airs de véritable paradis. Les passants étaient déjà beaucoup moins nombreux et la vie sur une telle planète pouvait paraître agréable. Enfin presque. Le souci d'une telle vie, c'était de devoir supporter les gros croiseurs marchands avec un vacarme assourdissant si on habitait près d'une usine ou un quelconque lieu industriel. Et comme la discrimination fait bien les choses, les villas les plus éloignées de la ville étaient les plus chères. D'habitude, c'est l'inverse, mais là, pas sur Urania.

Le Chasseur dénicha un sorte de café mêlant diverses activités en plus, histoire d'arrondir les fins de mois. Les serveurs étaient d'acier, mais le gérant était bien en chair et en os... enfin surtout en chair, d'ailleurs. Aaron tira une chaise de la terrasse, évitant les bruits de l'intérieur, pour son compagnon de fortune et s'installa à sa suite avec un air vaguement amusé :

"Si tu voulais pas te farcir le crâne, fallait pas aller sur Urania. La plus grosse planète commerciale ! C'est pénible, un tel vacarme sur le statioport."

Une droïde arriva avec un sourire toujours aussi artificiel et demanda avec sa voix mécanique et industriellement agréable :

"Puis-je prendre votre commande ?
- Une bière pour moi. Tu prends quoi ?"

En fait, Aaron, les jambes étirées et les pieds posés sur une chaise qu'il avait tiré sans gêne d'une autre table, venait de se rendre compte qu'il avait vite adopté le tutoiement. Après tout, ça venait naturellement chez lui, la convivialité des Pirates qui déteint un peu. Et puis il était jeune, fallait pas lui en vouloir. Son regard d'acier s'était posé sur l'inconnu avec neutralité.